PREFACE
1998: le psychiatre Jean Oury crie son indignation sous la plume d’Eric
Favereau dans le journal ‘Libération’: "il
y a une destruction véritable du champ même de la psychiatrie.
Ça prend une allure vertigineuse, cela devient impossible d'y
travailler. La suppression du diplôme d'infirmier psychiatrique,
c'est le plus gros scandale de ce siècle".
En 2001,
soit trois ans plus tard, le pédo-psychiatre Pierre Delion
s’insurge à son tour. Il regrette notamment "une
désorganisation de services et d’équipes ayant
acquis une grande expérience... (Ce) n’est pas seulement
préjudiciable pour les années pendant lesquelles elle
ne fonctionnerait pas, mais surtout par la perte de savoir qu’elle
entraîne dans toutes les professions concernées, au premier
rang desquelles, les infirmiers psychiatriques ont eux aussi payé
un lourd tribut" (P. Delion, 2001 p.38).
En
2003, dans un livre écrit avec Marie Depussé, Jean Oury
résume: "il y a depuis plusieurs années, la mise
en place d’un processus de destruction (de la psychiatrie) dont
l’étape fondamentale a été la fermeture des
écoles d’infirmiers psychiatriques…/… La suppression
des infirmiers psychiatriques a marqué la fin de la psychiatrie"
(J. Oury, 2003 pp.289 et 204).
PSYCHOTHERAPIE INSTITUTIONNELLE et FORMATION INFIRMIERE
-
CIRCONSTANCES - NAISSANCE - REFERENCES -
Introduction
Saint-Alban-sur-Limagnole,
chef-lieu de canton de la Lozère, est situé à
1000 mètres d'altitude dans le plateau de grès rouge
du Gévaudan. "Étape sur le chemin de St Jacques
de Compostelle, aux portes des Causses, des Cévennes et de
l'Aubrac, le village s'est édifié autour de son église
romane et de son château féodal" (plaquette
d’information, Office de tourisme). Le château est racheté
en 1821 afin d’y créer un hôpital pour femmes aliénées,
tenu par des religieuses. La communauté des sœurs possèdera
bientôt un corps de bâtiment, véritable lieu de
vie dans l'enceinte de l'hôpital. Respectueuses et solidaires
des personnes hébergées, des patients et du personnel
civil dont le nombre ira augmentant au sein des équipes, elles
participeront jusqu'au bout à l'expérience Saint-Albanaise.
Elles y joueront un rôle silencieux et discret, tempérant
parfois les innovations, mais très souvent aussi les accompagnant
de manière active et volontaire. Les "nonnes",
comme les nommait affectueusement François Tosquelles, ont
occupé tous les postes, de l'infirmière à la
lingère, de l’économe à la surveillante-chef.
La dernière prit sa retraite en 2003.
Replongeons-nous
dans le passé…
Nous
entrons dans le 20ème siècle. Cela fait maintenant 80
ans que le château-hôpital de Saint-Alban est géré
par la ‘Congrégation de Saint-Régis’.
Il s'enrichit au cours des décennies de nombreux bâtiments
annexes, permettant de loger et de prendre en charge 600 aliénés.
Titre
d’une thèse de médecine soutenue cette année-là:
"Considérations statistiques sur la situation du personnel
infirmier des asiles d'aliénés". Son auteur
a 25 ans. Il se nomme Georges Louis Daumézon (sa thèse
sera publiée à Cahors). "Daumézon attachera
toujours une très grande importance au rôle de l’infirmier"
(J. Ayme, psychiatre, 1994, p.2).
Saint-Alban:
arrivée du psychiatre Lyonnais Paul Balvet à la direction
de l'hôpital. Il lance des réformes pour humaniser l'asile.
La mise en place sur toute la France des 40 heures de travail hebdomadaire
et la création des congés payés ont entraîné
l'embauche de nouveaux employés. Il y a 500 aliénés
dans l’asile.
Le
terme "hôpital psychiatrique" apparaît
officiellement dans la dénomination française, et remplace
celui d"asile d’aliénés". L’infirmier
psychiatrique remplace l’infirmier des asiles d’aliénés.
Si depuis 1878, de rares infirmiers français ont pu suivre l’année
de formation proposée par quelques asiles parisiens, dont l’école
de "l’asile d’aliénés de la Salpêtrière",
ils resteront longtemps très minoritaires, si ce n’est
marginaux. La quasi totalité des établissements français
négligera pendant plusieurs décennies encore la formation
des équipes, certains médecins aliénistes allant
même jusqu’à s’y opposer, "car ils
n’attendent du personnel que sa docilité et non sa collaboration"
(Dr V. Noireaud, 1982). L’employé civil embauché
dans les asiles d’aliénés est alors un homme robuste
et libre (c’est à dire non-marié), recruté
parmi les ouvriers, les paysans ou les vagabonds: "on embauchait
tous ceux qui acceptaient de travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre
et de courir quelques risques. Les gardiens devaient habiter l’asile,
ils avaient un service continu et couchaient dans des lits au milieu
des patients. Ce niveau de recrutement très bas de sujets ne
sachant souvent ni lire, ni écrire et qui ne restent que quelques
mois à l’asile ne permettait guère d’organiser
un enseignement. Pour toute la France, en 1935, on ne trouve que 5%
des gardiens ayant le certificat d’études primaires"
(Dr V. Noireaud, 1982).
A la veille de la seconde guerre mondiale, le rôle de l’infirmier
psychiatrique en France reste principalement le gardiennage, même
si l’évolution aurait pu s’amorcer grâce d’une
part à sa participation aux nouvelles techniques que sont l’électrochoc
et l’insulinothérapie (une évolution en terme de
progrès dans la prise en charge), et la parution d’autre
part d’un règlement national en 1938 qui voulait organiser
l’exercice de la profession des infirmiers des hôpitaux
psychiatriques.
1939
- 1945: guerre et occupation nazie
La
guerre éclate, la France est occupée. Le projet d’une
formation infirmière spécifique à la psychiatrie
tombe dans l’oubli. La priorité est maintenant de survivre.
Entre les murs de l’hôpital de Saint-Alban, la survie va
s’organiser de manière particulière. En effet, durant
5 années, religieuses, personnel civil et patients accueilleront,
cacheront et soigneront des maquisards blessés (par exemple suite
aux combats du "Mont Mouchet") ainsi que des clandestins
fuyant les régimes Nazi, Franquiste et/ou de Vichy.
1940
6 janvier:
le psychiatre François Tosquelles est invité puis accueilli
à Saint-Alban. "Il militait au POUM, un mouvement
réunissant des communistes contre Staline" (J. Ayme,
juin 2007). François Tosquelles venait d’expérimenter
les 3 années de la société égalitaire
et communautaire qui, en Catalogne de 1936 à 1939, remplaça
la république du front populaire. Participant à la guerre
civile, il finit par fuir devant les armées nationalistes du
général Franco. Réfugié Espagnol, il vient
de vivre en France la réclusion réservée aux
"étrangers indésirables" dans le
camp de "Septfonds", près de Montauban.
"En
tant que délégué syndical CGT, je le conseillais",
se souvient Jean Ayme. "Emigré, il est arrivé
avec son accent espagnol, sa méconnaissance des lois françaises…
Certains médecins étaient racistes envers lui. Je le protégeais"
(J. Ayme, juin 2007).
La situation
géographique bien spécifique de Saint-Alban, situé
loin des grandes villes et isolé dans la montagne, va favoriser,
au milieu des patients et du personnel, la rencontre de nombreux clandestins,
intellectuels, médecins et hommes de lettres dont les poètes
Paul Eluard et Tristan Tzara, le philosophe Georges Canguilhem...
S'opère ainsi un riche brassage intellectuel qui a pour toile
de fond l'humanisation des conditions d'hospitalisation des "aliénés"
et l’apprentissage de la vie en communauté.
C'est
dans cette ambiance très particulière que va s'instituer
le dispositif psychiatrique voulu par François Tosquelles. De
formation psychanalytique, le psychiatre Catalan "apporte avec
lui deux ouvrages qui vont lui servir de bases de référence"
(J. Ayme, 1994, p.4):
1)
le livre d'Hermann Simon: "Expérience de Guttersloch"
(il faut soigner l'hôpital avant de soigner les gens);
2) la thèse de doctorat de Jacques Lacan: "De la
psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité"
(le discours psychotique a un sens).
1942
Pour faire
face aux restrictions alimentaires, tout le personnel de Saint-Alban,
qu’il soit religieux ou civil, les médecins, les malades
et la population (2100 habitants) organisent l'approvisionnement de
l'hôpital en nourriture. L’initiative restera malheureusement
unique dans toute la France occupée.
Au
congrès de Montpellier, Paul Balvet et François Tosquelles
révèlent la décadence du système asilaire
Français: les malades mentaux sont soumis à un véritable
génocide. Ils évoquent et commentent les travaux de Hermann
Simon selon lesquels l'institution psychiatrique est elle-même
malade.
L'hôpital
de Saint-Alban voit se redéfinir profondément les relations
entre les malades, les soignants et le monde extérieur. Apparaît
la possibilité d’une prise en charge réfléchie
au sein du groupe de soignants, incluant les infirmiers, ceux-là
même que chaque patient fréquente heure après
heure, chaque jour de l’année. Parallèlement,
s'expérimente sur l'ensemble de la commune la pratique d'une
psychiatrie égalitaire et communautaire, héritière
de l’expérience sociale Catalane. "La psychothérapie
Institutionnelle, comme aimait à le rappeler Tosquelles, est
d’essence libertaire." (J. Oury, 2003, p.144).
Médecin-psychiatre,
Lucien Bonnafé est nommé chef de service: il commence
à évoquer l'idée d'un "secteur géographique
de psychiatrie" qui serait à délimiter, puis
à prendre en charge.
La "Société
du Gévaudan" est créée par Paul Balvet,
Lucien Bonnafé, André Chaurand et François Tosquelles:
"soins, recherche et formation" sont à la
base de leur nouvelle pratique psychiatrique. La thérapie devient
collective, s’alimentant à la fois de marxisme et de
psychanalyse. Pendant ces années d'occupation, la "Société
du Gévaudan" remplit également une mission
officieuse: faire passer vers la France Libre des ouvrages ou des
passagers clandestins, qui profitent par exemple des liaisons entretenues
par Jacques Lacan de Paris (zone occupée), avec Horace Torrubia
à Aurillac (zone libre).
Les
trains de la S.N.C.F. sont réquisitionnés par l’occupant,
ses armées et son administration: les marchandises n'arrivent
plus. Alors qu'il manque de chaussures pour les hospitalisés
de Saint-Alban, Paul Balvet surprend un patient, très délirant
et que nul n'aurait imaginé capable de cela, se confectionner
des sandales avec le raphia de l'atelier occupationnel. Le directeur
lui propose d'en fabriquer plusieurs paires, mais dorénavant
contre rémunération, ce que le patient accepte; Tous deux
viennent de créer les toutes premières bases de ce qui
deviendra progressivement l'ergothérapie, théorisée
à Sotteville-lès-Rouen après la libération:
le but n'est plus d'occuper les patients, mais bien de leur proposer
un travail rémunérateur répondant à une
demande réelle de la collectivité.
1943
Paul Balvet
est remplacé à la direction de l'hôpital par Lucien
Bonnafé, psychiatre et militant du parti communiste.
1944
Lucien
Bonnafé quitte Saint-Alban, rentre dans la vie clandestine
et intègre la Résistance (il sera membre du service
médical du maquis lors de la bataille du Mont Mouchet, puis
participera aux combats pour la libération du pays).
André Chaurand le remplace à la direction de l'hôpital.
1945:
libération du pays
40.000
malades mentaux sur 80.000 hospitalisés, soit la moitié
des patients sont morts de faim ou de froid dans les centres français
de psychiatrie durant les 5 années d'occupation.
Conséquence précieuse des nouvelles pratiques égalitaires
qu'ils ont su mettre en place et entretenir au sein de leur commune,
les Saint-Albanais possèdent le seul hôpital psychiatrique
ayant su protéger tous ses patients au cours de cette période.
Certains
employés reviennent des camps de concentration, profondément
marqués par l'expérience déshumanisante qu'ils
y ont subi. De ce fait, ils adhèrent entièrement aux idées
novatrices lancées par Paul Balvet et François Tosquelles.
S’appuyant sur le vécu de ces ex-prisonniers revenant des
camps nazis, un grand mouvement de transformation des conditions d’exercice
de la psychiatrie est engagé à partir de 1945. Prenant
essor dans de rares hôpitaux comme à Saint-Alban ou à
Fleury-les-Aubrais (près d’Orléans), cette nouvelle
façon de penser la psychiatrie, intégrant soin du patient,
recherche théorique et formation des infirmiers va connaître
au cours des décennies un développement de plus en plus
important en France et bientôt dans le monde.
Ouverture
des "Journées Psychiatriques Nationales"
qui se reproduiront en 1946 et 1947: l’idée est de conjuguer
le psychanalytique et l’institutionnel.
A
Sotteville-lès-Rouen, l’hôpital psychiatrique a quasiment
disparu sous les bombardements alliés. Lucien Bonnafé
va mettre en place des services ouverts de psychiatrie publique qui
fonctionneront sans avoir recours à la loi de 1838 et aux hospitalisations
sous contrainte. Le psychiatre Sven Follin fera la même chose
à Montauban.
Le
Dr Paul Bernard, psychiatre de l’hôpital Sainte-Anne à
Paris, fait paraître dans la revue ‘Information Psychiatrique’
un article qui déplore le peu de qualification des infirmiers
psychiatriques en France: "si on exclut quelques tentatives
rares et isolées, la formation professionnelle de l’infirmier
et de l’infirmière des hôpitaux psychiatriques n’existe
pas encore dans notre pays. L’enseignement varie peu des directions
déjà anciennes données par Bourneville, fondateur
de la première école en 1907. L’instruction des
infirmiers des hôpitaux psychiatriques se réduit à
quelques cours résumant les notions des manuels classiques. Toutes
ces notions ne sont pas suffisamment ‘repensées’
pour eux et ne parviennent pas à les ‘former’ réellement
en vue d’une collaboration à une thérapeutique active.
Elles ne les libèrent jamais de la passivité du gardien
traditionnel. Le niveau général de nos infirmiers constitue
un des aspects les plus affligeants de l’état d’arriération
de nos hôpitaux psychiatriques. C’est à une action
d’homme à homme que doit préparer la formation du
personnel" (Dr V. Noireaud, 1982, p.11 et 12).
Georges
Daumézon, devenu médecin-directeur de l'hôpital
spécialisé de Fleury-les-Aubrais, attache lui aussi
une grande importance au rôle et à la formation de l'infirmier
psychiatrique pour le soin des malades mentaux. Il demande aux éducateurs
de l’organisme socio-pédagogique ‘C.E.M.E.A.’
(Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active)
de s’engager dans le champ de la santé mentale. Germaine
Le Guillant retrace l’histoire de cette rencontre et de la riche
collaboration qui s’ensuivit: "c’est en 1946
que j’ai fait la connaissance du Dr Daumézon... nous
avons discuté de psychiatrie, du mouvement de réformes
qui s’y dessinait alors. À la fin de cette discussion,
Daumézon me dit: «et pourquoi n’organiseriez-vous
pas des stages pour les infirmiers psychiatriques?»... La psychiatrie
était pour moi un champ de lutte politique et sociale…
pour réduire -sinon détruire- les tabous et préjugés
liés à la folie… Dans cette volonté de
changement, il était évident que le rôle du personnel
infirmier apparaissait comme primordial… Certains éléments
étaient porteurs de tous les espoirs: d’une part le travail
entrepris par Tosquelles à Saint-Alban, et par Daumézon
à Fleury-lès-Aubrais; D’autre part, et c’est
ce qui fut déterminant pour moi, ma rencontre avec les infirmiers
psychiatriques: ceux-ci, travaillant dans les pires conditions, gardaient
le courage, la persévérance, un goût de l’action
leur permettant de s’ouvrir très vite à toute
proposition susceptible d’améliorer la vie des malades…
C’est ainsi que s’est constitué un petit groupe
d’instructeurs qui est devenu une équipe de stage…
Et nous avons commencé à préparer, avec Daumézon
et le personnel, le premier stage d’infirmiers qui devait se
tenir, en 1949, à La Charbonnière" dans le
Loiret (texte de 1980, paru dans VST n°72 d’octobre 2001).
Germaine
Le Guillant raconte ensuite ses premiers rapports de travail avec un
petit groupe d’infirmiers en formation. Ces tout-premiers stagiaires
allaient bientôt devenir de proches collaborateurs: "la
grande découverte de ce travail fut pour moi d’emblée
la qualité du personnel infirmier souvent nié, méprisé
par les médecins et si souvent proche des malades cependant.
Plus directs souvent, plus près de l’action que bien des
personnages que je rencontrai dans le secteur pédagogique. Ces
hommes et ces femmes, soignants profondément engagés dans
la rénovation de l’asile, ont eu tout au long de notre
travail un rôle privilégié. Les quelques infirmiers
de Fleury-lès-Aubrais qui allaient constituer avec nous l’équipe
responsable du premier stage ont été aux côtés
de Daumézon, nos premiers instructeurs. Ils inauguraient cette
collaboration devenue constante des Ceméa et des soignants dans
les activités de formation".
Le psychiatre
jean Oury précisera quelques 50 années plus tard: "le
développement de la formation des infirmiers est très
important pour comprendre ce qui s’est passé en psychiatrie.
Il faut se rappeler que, jusque-là, il n’y avait pas
d’infirmiers, il n’y avait que des gardiens. Dans ces
stages, ils avaient des instructeurs qui leur apprenaient l’importance
de faire le ménage pour et avec les malades, de mettre des
fleurs sur les tables. Ça peut paraître un peu primaire.
Mais c’était le début de quelque chose d’important"
(J. Oury, 2003 p.203).
1947
Saint-Alban:
mise en place d'une association loi 1901 conventionnée avec
l'hôpital psychiatrique. Cela permet de se doter d'un cadre
juridique pour intégrer le malade mental au sein des lois françaises.
C'est dans cette optique qu'est créé le club "Paul
Balvet", offrant aux patients une organisation de type associatif
(il deviendra en 1954 le "club des malades"). Le
‘Club Paul Balvet’ est le prototype des clubs thérapeutiques
voulus par François Tosquelles. "Les objectifs immédiats
de ces clubs thérapeutiques sont de pouvoir organiser la vie
quotidienne du service en assumant la responsabilité des achats
et des dépenses de chaque atelier: la cafétéria,
les ateliers créatifs et/ou de production", les fournitures
communes… (P. Delion, 2001 p.31).
D'autres hôpitaux psychiatriques auront recours à la
création d’associations, tels les centres d'Aix en Provence,
Auch, Aurillac, Bonneval, Lannemezan, Leyme, Toulouse, Vauclaire,
Ville-Evrard, Villejuif. L’idée fait son chemin un peu
partout en France (la spécificité et la pertinence de
ce type de structure associative finiront par être reconnues
par une circulaire gouvernementale en février 1958).
Création
de la première société régionale d’hygiène
mentale à Clermont-Ferrand où François Tosquelles
se rend régulièrement. Elle deviendra la Fédération
Nationale "croix bleu marine", pour finalement se
nommer la Fédération d'Aide à la Santé Mentale
"Croix-marine". Cette organisation va jouer un rôle
majeur dans la diffusion et la mise en place des nouvelles méthodes
psychiatriques qui se théorisent depuis les années d'occupation.
Elle ajoutera bientôt à ses champs d’application
la formation du personnel employé en psychiatrie: un nombre considérable
d’infirmiers assistera à ses colloques et séminaires
thématiques.
Nommé
à Toulouse, André Chaurand quitte la direction de l'hôpital
de Saint-Alban. Maurice Despinoy y est nommé médecin-directeur.
3 Septembre 1947: François Tosquelles accueille Jean Oury et
Robert Millon en qualité d'internes à Saint-Alban. Jean
Oury y restera deux ans, puis François Tosquelles l’enverra
en octobre 1949 à Saumery où il sera nommé médecin-directeur
d’une clinique privée. Robert Millon, quant à
lui, ne quittera pas l'hôpital de Saint-Alban, dont il finira
par assumer la direction.
P.
Sivadon publie un compte-rendu sur "les activités de
groupe à l'hôpital psychiatrique" (annales médico-psychologiques,
T.l n°2 p.192-196, 1947).
Les
stages d’apprentissage voulus puis créés par Georges
Daumézon se sont mis en place. Organisés à l’intention
du personnel infirmier, ils peuvent durer jusqu’à une dizaine
de jours chacun. Dans le cadre des C.E.M.E.A, Germaine Le Guillant et
Georges Daumézon forment les stagiaires aux psychodrames, à
la dynamique de groupe... Ils leur font également pratiquer des
activités collectives et créatrices où, dans une
relation inversée, ils découvriront de nouveaux modes
d'échange avec les médecins qui les encadrent. A leur
retour dans leurs services respectifs, ces infirmiers rapporteront les
pratiques et surtout reproduiront ces nouvelles relations auprès
de leurs malades. Malheureusement, dans beaucoup d'hôpitaux "ils
se heurtent au conservatisme de l'encadrement infirmier ou médical.
Daumézon organise alors des stages destinés aux surveillant-chefs"
(J. Ayme, 1994, p.5). Plusieurs années plus tard (en fait à
partir de 1957), il sera amené à réunir les médecins
eux-mêmes à l'école expérimentale de Sèvres.
Lucien
Bonnafé publie un compte-rendu "sur les réunions
du personnel (à l’hôpital psychiatrique)"
(‘Information Psychiatrique’, n°8 p.275-279, 1949).
1950
L’évolution
thérapeutique expérimentée à Saint-Alban
depuis bientôt 15 ans a redonné aux malades un peu de
leur humanité: ils ne sont plus seuls, ils se sentent encadrés
et soutenus, au sein d’une communauté. Cette évolution
a permis à l’hôpital d’assumer son rôle
de protection, de retrouver une fonction soignante. Avec l’aide
et le soutien de l'organe local "Croix-marine",
des structures internes ont été créées:
commissions, bureaux, activités d'animation, théâtre,
ateliers d'ergothérapie...
A partir de juillet 1950 paraît à Saint-Alban le journal
"trait d'union", porte-parole de l'intérieur
du centre dans lequel chacun, de l’infirmier au médecin,
du membre de l'administration à l’hospitalisé,
peut écrire ce qu'il veut. Hebdomadaire puis bi-mensuel, rédigé,
façonné, imprimé et vendu au sein de l'hôpital
(il valait 1,10 francs en 1950), ce journal interne de libre expression
paraîtra jusqu'en 1981. Contenant de 4 à 8 pages selon
les livraisons, il propose témoignages, revendications individuelles,
faits d'actualité... etc. Orienté vers les soins et
les échanges institutionnels, c'est un outil thérapeutique
dans le sens de Saint-Alban, apte à soigner l'institution autant
que les malades.
1951
Henri
Ey organise les "journées de Bonneval",
congrès au cours duquel François Tosquelles expose l’organisation
mise au point à l’hôpital de Saint-Alban, et développe
les bases de la "psychothérapie collective".
Pour tenter de compenser le rejet du malade mental par la société,
il soutient la nécessité d’un collectif soignant.
François Tosquelles préconise la mise en application
d’une "pratique soignante institutionnalisée".
1952
Invité
à Saint-Alban, Frantz Fanon, interne en psychiatrie, rencontre
François Tosquelles; il a entendu parler à Lyon d'une
"pratique psychiatrique attentive surtout à la complexité
des différences qui lient entre eux les hommes".
G. Daumézon,
L. Le Guillant, P. Sivadon et F. Tosquelles confrontent leurs expériences
et font paraître un "symposium sur la psychothérapie
collective, Bonneval 1952" (‘Evolution Psychiatrique’,
n°3 p.531-576, 1952).
Evoquant
le travail effectué à Fleury-les-Aubrais puis près
de Paris à l’hôpital de Maison-Blanche où
il vient d’être nommé, Georges Daumézon et
son interne Philippe Koechlin emploient pour la première fois
associés les deux mots: "psychothérapie institutionnelle".
L’expression caractérise les "activités
thérapeutiques discontinues, collectives et cohérentes"
qu'ils ont introduites dans leurs services (article intitulé
"la Psychothérapie Institutionnelle Française",
paru dans la revue "Anais Portugueses de Psiquiatria").
Ces termes seront désormais adoptés pour désigner
l’ensemble des techniques qui ont été progressivement
théorisées et appliquées à Saint-Alban (depuis
1940) ou à Fleury-les-Aubrais (après-guerre).
Création
officielle de la FASM Croix-marine. La France reconnaît enfin,
après plusieurs années d’existence, son action
sur le terrain. Avant, pendant puis après la seconde guerre
mondiale, sous l'impulsion de ses fondateurs A. Delaunay et P. Doussinet,
la Fédération d’Aide à la Santé
Mentale a accompagné, et souvent aussi a été
à l'origine de projets et de réalisations pratiques
qui transformèrent l'ambiance des lieux de soins en psychiatrie.
Partie prenante dans le mouvement de la psychothérapie institutionnelle,
elle s’est mobilisée dès le début dans
les efforts de rénovation des conditions de vie du malade mental
en France. Elle participa à la création des Comités
Hospitaliers. Sa volonté d’action dans la formation des
professionnels de la psychiatrie sera déterminante, au même
titre que son travail d’accompagnement, de protection et de
réinsertion des malades. Durant la décennie 1970, elle
participera au déploiement de la sectorisation. Reconnue d’utilité
publique en 1986, scindée en 15 coordinations régionales,
la FASM Croix-marine regroupera, à partir du 21ème siècle,
300 associations et 130 établissements ou services sur tout
le territoire. Organisant des stages et des séminaires de formation
à l’intention des infirmiers comme de tout le personnel
médico-social, la FASM en viendra également à
publier des études thématiques: les "Dossiers
Bleus Croix-marine", une revue trimestrielle: "Pratiques
en Santé Mentale", une lettre d’information…
etc. (2007, "Agir en Santé Mentale", FASM
Croix-marine).
1953
3 Avril
1953: avec les 33 patients de Saumery qui l’ont suivi (7 sont
restés qui ne pouvaient pas marcher), et s'inspirant des concepts
et de la pratique de la psychothérapie institutionnelle, Jean
Oury crée près de Blois la clinique du "Château
de Laborde".
Le
gouvernement français n’a pas reconnu le diplôme
de psychiatre qu’avait l’espagnol François Tosquelles
en arrivant en France. Employé depuis 1946 sur un poste d'infirmier,
il a refait toute sa formation puis, après avoir ainsi franchi
les échelons de la hiérarchie hospitalière, est
devenu psychiatre de l’université française. En
1953 il est nommé médecin-directeur de l'hôpital
de Saint-Alban.
"Quand
j’étais petite" raconte Michèle Béteille
à Saint-Alban, "j’ai grandi avec les 4 enfants
de François Tosquelles. Pour moi, c’était la liberté,
c’était ma seconde famille. Quand il venait manger à
la maison, il lui arrivait d’écarter son assiette pour
faire un dessin sur la nappe, pour s’amuser ou pour expliquer
quelque-chose. Mes parents qui n’auraient jamais fait une chose
pareille, ne disaient rien. Il rigolait tout le temps. On était
très libres avec lui." (Michèle Béteille,
infirmière retraitée, juin 2007).
"C’était
pareil au boulot", précise Marcel Béteille,
son mari. "François Tosquelles voulait que les gens
disent ce qu’ils pensent, ce qu’ils ont vu, avec leurs propres
mots, quelle que soit leur éducation. Il était toujours
très respectueux. Il discutait avec tout le monde, le patient,
l’ouvrier, la nonne, l’infirmier… S’il voulait
savoir ce qui s’était passé, il n’envoyait
pas demander, il allait voir directement la personne. Mais quand il
sentait qu’elle avait un discours tout-fait pour plaire au médecin,
il l’interrompait tout de suite: je suis comme un couillon si
vous ne me parlez pas, je suis inutile..." (Marcel Béteille,
éducateur, infirmier, surveillant à la retraite, juin
2007).
Inauguration
du "club des malades" à Saint-Alban. Héritière
du club "Paul Balvet" (créé en 1947),
cette instance reproduit dans l'hôpital et pour les patients le
schéma organisationnel associatif, avec élection d'un
président, d'un secrétaire... L'organe local "Croix-marine"
vient apporter son aide pour tous les aspects officiels (démarches,
conseils, soutiens). "L’intervention des malades dans
la thérapeutique est d’abord liée au fait que ce
sont eux qui ont quelque-chose à y gagner, que l’enjeu
est de leur côté" (J. Oury, 2003, p.95).
Georges
Daumézon et Germaine le Guillant fondent la revue "Vie
Sociale et Traitements" (VST). Alimentée en théorie
et pratique de terrain, elle sert de support à la formation
des infirmiers psychiatriques lors des stages CEMEA. Cette publication
vise aussi à transmettre et soutenir le débat désaliéniste
porté entre autres, et pendant encore de longues années
par Lucien Bonnafé.
1955
L'abbé
Oziol et François Tosquelles créent le "Clos
du Nid", établissement recevant des enfants arriérés
profonds, à Marvejols en Lozère.
L'arrêté
du 23 juillet réglemente un examen régional pour les infirmiers
des hôpitaux psychiatriques. Il sanctionne une formation de 2
ans par un diplôme qui n’est pas reconnu au niveau national.
Malheureusement, son contenu fait toujours la part belle aux anciens
cours des médecins aliénistes: les infirmiers conservent
leur rôle d’exécutant et de gardien. Variant énormément
d’une école à l’autre, dispensée au
sein même des hôpitaux psychiatriques, la formation dépendra
en fait de la disponibilité et de la volonté de chaque
médecin enseignant.
J. Séguy
écrit sa thèse de médecine sur "la notion
d'ambiance psychothérapique à l'hôpital psychiatrique.
Expérience d'un service de femmes" (Toulouse, 1955).
1957
Création
d'une bibliothèque à l'hôpital de Saint-Alban.
Elle permet de réunir en un seul lieu et à disposition
de tous, les textes qui serviront à la formation des équipes.
Au
congrès de Zurich, Jean Oury fait une intervention sur "l’entourage
du malade dans le cadre de la thérapeutique institutionnelle"
dans laquelle il insiste sur les deux aliénations (sociale et
mentale) et sur l’importance d’effets inattendus de cette
technique: "par une technique du milieu, le médecin
arrive à éclairer des zones de la personnalité
de chacun qui seraient restées à tout jamais dans l’ombre.
Elle tend à créer des systèmes de médiation
contrôlés médicalement entre l’ensemble du
personnel de l’hôpital et l’ensemble des malades (...)
Cette dialectique soignants-soignés instaure un ordre particulier
qui bouleverse les structures trop anciennes, et donne sa signification
à tout système médiatif que l’on cherche
à créer".
Les infirmiers
psychiatriques, en butte à l’immobilisme médical
qu’ils affrontent dans leurs services respectifs, ne peuvent
pas toujours pratiquer les nouvelles techniques apprises depuis 1949.
Georges Daumézon, médecin-directeur à l'hôpital
de "Maison-Blanche" en région Parisienne,
prend l’initiative d’organiser les rencontres médicales
du "Groupe de Sèvres". Y sont conviés
les psychiatres héritiers de Freud et de Pinel animés
d’une volonté de changements institutionnels. "Le
groupe réunit soit ceux qui veulent subvertir l’institution
asilaire pour en faire un véritable instrument de soins, désireux
de guérir dans la même démarche les institutions
et les malades qu’elles accueillent, soit ceux qui veulent créer
un ailleurs dégagé des facteurs d’aliénation
de structures héritées du passé" (J.
Ayme, 1994). 40 psychiatres et psychanalystes se rencontrent à
6 reprises entre 1957 et 1959. Ils y discutent les théories
du secteur en psychiatrie, la participation des infirmiers à
la psychothérapie... Ce dernier thème sera à
l'origine du désaccord qui mettra fin au mouvement. Précisions
de Jean Oury: "en 1957, j’ai fait une intervention
lors du colloque de Sèvres, où je disais que les infirmiers
n’étaient pas plus con que les psychanalystes. Ça
a déclenché une violence qui s’est presque terminée
en bagarre" (J. Oury, 2003 p.203-204).
M.
Golberg, C. Martin et P. Martin publient leurs "remarques sur
la relation Médecin-Infirmiers-Malades à l'hôpital
psychiatrique" (‘Revue Pratique de Psychologie de la
Vie Sociale et d'Hygiène Mentale’, n°1 p.15-26, 1957).
A. Fernandez
et M. Hazera, dans un article écrit en commun, prennent position
"pour une participation plus riche de l'infirmier à
l'ensemble psychothérapique du service psychiatrique"
(‘Information Psychiatrique’, n°9 p.505-514, 1957).
1958
Circulaire
gouvernementale du 4 Février 1958: reprenant le credo de psychiatres
désaliénistes tels que Lucien Bonnafé, Georges
Daumézon ou Henri Ey, elle réorganise le fonctionnement
de la psychiatrie en aménageant le travail d’ergothérapie.
Elle officialise également l'existence des clubs thérapeutiques
auxquels elle fournit enfin un cadre législatif adapté.
Cette circulaire entérine une pratique de Saint-Alban: elle
reconnaît l'intérêt de l'intervention d'une association
loi 1901 dans l'organisation du travail thérapeutique, pour
éviter que l'argent gagné dans les ateliers ne soit
la propriété de l'hôpital (comme cela se faisait
partout ailleurs), mais revienne bien à ceux qui y ont travaillé.
L’association
loi 1901 se compose de soignants et de personnalités extérieures
au soin, et porte le nom de "comité hospitalier".
C'est ce comité qui passe convention avec l'établissement,
puis crée en son sein un "club thérapeutique".
Théorisation
de l'ergothérapie: par son travail dans un cadre thérapeutique,
le malade reçoit une rémunération. Activité
de médiation et de socialisation, l'ergothérapie positionne
directement le patient dans le monde du travail. Elle l'ouvre aux
réalités extérieures et lui permet par la même
occasion d'accroître son autonomie. L’équipe infirmière
a ici un rôle d’encadrement et d’accompagnement.
Elle expérimente également le ‘faire-avec’,
favorisant les rapports transversaux d’individu à individu.
"Mais
la bataille consiste aussi à rappeler aux infirmiers que l’ergothérapie
n’est pas une fin en soi, mais seulement une base à partir
de laquelle travailler, en résistant à plusieurs tentations,
commerciales, esthétiques…" (J. Oury, 2003, p.95).
Le personnel
infirmier de Saint-Alban est amené à réfléchir
sur son statut de soignant, en ergothérapie comme au sein des
différentes activités qui se mettent en place. Des réunions
sont organisées pour échanger, s’informer et se
former. On a compris l’importance des groupes et du travail
sur les groupes en psychiatrie, et cela concerne les patients, les
soignants mais surtout d’une manière générale
l’ensemble des individus en contact. La recherche se fait également
sur le concept d’institution qui régit les relations
entre les membres.
Création
à l’hôpital de Saint-Alban de "l'association
culturelle du personnel" qui aura pour but essentiel une formation
adaptée des infirmiers, anticipant sur ce qui va finir par se
mettre en place quelques années plus tard dans toute la France.
Le personnel soignant a ressenti le besoin de se rencontrer pour échanger
et élaborer ses expériences. En complément de démarches
psychanalytiques personnelles, un mouvement est ainsi né sous
la forme d’une association culturelle, permettant aux différents
acteurs de se retrouver pour réfléchir ensemble sur leurs
pratiques.
Au départ, cette association s’est attelée à
l'étude des textes fondamentaux (Freud, Lacan...). Notons que
les 2 premiers textes proposés par François Tosquelles
ont été celui de Hermann Simon pas encore traduit en français
("Expérience de Guttersloch"), et la thèse
de doctorat de Jacques Lacan ("De la psychose paranoïaque
dans ses rapports avec la personnalité"). Transposées
à l’échelle du groupe d’individus et du collectif
soignant, ces études et celles qui suivirent ont enrichi considérablement
la culture du milieu hospitalier, à une époque où
la psychanalyse n’avait pas encore pénétré
la psychiatrie.
Persuadé
de l’importance de la place du "psychiste"
dans la cité, François Tosquelles a aussi entrepris,
sous l’égide de cette association culturelle, d’animer
un ciné-club à Saint-Chély-d’Apcher. Les
séances proposent alors aux nombreux spectateurs, qu’ils
soient soignants ou non, des discussions passionnées sur la
psychopathologie. Les débats sont commentés et animés
par François Tosquelles. "Ils offrent un spectacle
recherché et redouté à la fois puisque personne
n'est à l'abri d'une interpellation de sa part!"
(Michèle Béteille, juin 2007).
Création
de "Radio-Club" qui, à partir d'un studio
dans le château de Saint-Alban, transmet par fil vers tous les
services de l'hôpital des émissions réalisées
par des animateurs, soignants ou malades. Y circulent des faits divers,
des plaintes, des avis personnels, des "coups de gueule",
des poèmes, des infos sur les différentes activités,
ainsi que des "potins" locaux. Les unités
de soins qui le souhaitent se branchent sur "Radio-Club"
à l'heure prévue pour l'émission quotidienne, émise
de façon régulière toute la semaine. Ceux qui écoutent
peuvent réagir à ce qui vient d'être dit en allant
s'y exprimer.
François
Tosquelles est remplacé à la direction de l'hôpital
par Yves Racine, après un court intérim de Roger Gentis.
Suite
aux bruyantes mais riches journées du "Groupe de Sèvres",
le n°5 de la revue ‘Information Psychiatrique’ fait
paraître plusieurs articles pour promouvoir la participation des
infirmiers à la psychothérapie. Ainsi sont publiées
les réflexions de P. Bailly-Salins, A. Beley, L. Le Guillant,
J. Oury (‘Information Psychiatrique’, n°5 p.383-466,
1958).
3
articles importants vont entériner la nécessité
d’un travail d’équipe en psychiatrie, reconnaissant
par là-même la spécificité et la pertinence
des soins infirmiers:
1.
J. Ayme fait paraître un texte dans la revue ‘Information
Psychiatrique’ n°8, intitulé "La participation
des infirmiers à la psychothérapie";
2. J. Oury publie "Analyse de l'entourage immédiat
du malade dans le cadre de la thérapeutique institutionnelle",
‘Acta psychotherapeutica, psychosomatica et orthopaedagogica’
n°7 p.295-300, 1959;
3. S. Lebovici écrit "Le travail d'équipe
en psychiatrie", ‘Evolution Psychiatrique’
n°2 p.253-274, 1959.
1960
Toutes
les régions ont reconnu la nécessité d’un
‘soin’ en psychiatrie. Après le département
de la Lozère puis la région du Languedoc-Roussillon,
c’est maintenant sur toute la France qu’on commence à
parler de l’intérêt d’un ‘soin
d’équipe’ pour la prise en charge des patients
en psychiatrie.
Autour
de l’hôpital, les interventions au domicile des malades
s’organisent, que ce soit à la demande de la famille ou
du médecin traitant. Ce mouvement a été initié
de manière très naturelle depuis plusieurs années
à Saint-Alban et dans tout le département de 60.000 habitants,
département dont François Tosquelles dit qu'il est "le
jardin de l'hôpital".
La circulaire
gouvernementale du 15 Mars 1960 reconnaît et promeut la "psychiatrie
de secteur". Elle entérine un objectif majeur: rapprocher
l’exercice de soin du lieu de domicile, et le soignant du patient.
Philippe
Paumelle, ancien élève de Georges Daumézon, met
officiellement en place le premier secteur de psychiatrie en France
sous la forme d’une association loi 1901 à Paris dans le
13ème arrondissement.
L'hôpital
de Saint-Alban accueille en mai les premières journées
du G.T.P.S.I. (Groupe de Travail sur la Psychothérapie et la
Sociothérapie Institutionnelles) qui est né de la disparition
en avril 1959 du Groupe de Sèvres. Suite à l'initiative
de 3 psychiatres (Hélène Chaigneau, Jean Oury et François
Tosquelles), douze rencontres se succèderont entre le 1er Mai
1960 et le 31 Octobre 1965. Les principaux acteurs du mouvement de
la psychothérapie institutionnelle s'y retrouvent alors pour
des sessions de trois jours, à raison de 2 ou 3 fois par an.
Sont débattues les questions théoriques ou pratiques
posées dans leurs divers lieux de soins. "C’est
également la recherche d’une cohérence théorique,
comme le dit Tosquelles, la fabrication d’outils conceptuels
pour guider notre pratique mais également pour tenter de dégager
la problématique spécifique de la psychothérapie
institutionnelle. Nous ne craignions pas à l’époque
de déclarer que la psychanalyse n’est qu’un cas
particulier de la psychothérapie institutionnelle"
(J. Ayme, 1994).
Exemples de thèmes abordés:
•
"fantasme et institution";
• "le transfert en institution";
• "l’argent à l’hôpital psychiatrique";
• "le concept de production dans le collectif psychiatrique"...
etc.
Acquérant
de la renommée au cours des années, le G.T.P.S.I. sera
bientôt dépassé par l'affluence grandissante de
ses participants. 12 réunions auront lieu, puis il laissera la
place en 1965 à une nouvelle association, la S.P.I. (Société
de Psychothérapie Institutionnelle).
R. Roelens
publie: "le mouvement français de psychothérapie
collective" (‘La Pensée’, n°90 p.90-104,
1960).
1962
Création
du "Bulletin technique du personnel soignant de l'hôpital
psychiatrique de Saint-Alban", communément nommé
"Bulletin du personnel soignant": traitant principalement
du fonctionnement de l'institution, sa publication est très
irrégulière mais durera néanmoins une trentaine
d'années. Dés la première année de parution,
de nombreux articles sont produits:
•
C. Poncin: "Essai d'application des 'modèles linguistiques'
à la thérapeutique institutionnelle", Fasc.
B p.1-35, 1962;
• F. Tosquelles: "Note sur la sémiologie de
groupe", Fasc. B p.36-58, 1962;
• Y. Racine: "A propos des infirmiers sociothérapeutes",
Fasc. B p.59-63, 1962;
• C. Poncin et F. Tosquelles: "Thérapeutique
institutionnelle et psychothérapie de groupe dans les institutions",
Fasc. C p.1-37, 1962;
• H. Loubon et M. Wajeman: "Méthodes d'observation
en psychothérapie de groupe", Fasc. C p.38-42,
1962.
Parallèlement,
dans ‘Information Psychiatrique’ n°8 p.651-674, P. Bernard
fait paraître: "Perspectives nouvelles sur les soins
infirmiers psychiatriques en Europe".
M. Wajeman
intitule sa thèse de médecine: "Considérations
sur la formation professionnelle du personnel infirmier des services
de neuropsychiatrie" (Clermont-Ferrand, 1962).
1963
R. Roelens
publie un nouvel article: "Quelques conditions préliminaires
au collectif soignant" (‘Information Psychiatrique’,
n°4 p.203-224, 1963).
1965
N'ayant
plus de raisons d'être, les murs d'enceinte sont démontés:
l'hôpital de Saint-Alban est désormais pleinement intégré
dans la commune.
Sur
ordre du service des monuments historiques, la chapelle de l'hôpital
est détruite car adossée illégalement et depuis
de nombreuses années contre le mur du château. Les sœurs
et la majorité des patients en réclament aussitôt
une nouvelle. Yves Racine, médecin-directeur de l'hôpital
accepte, mais à condition que ce soient les patients et le personnel
qui la construisent! Il finance le matériel, ainsi que les services
de quelques ouvriers, d'un architecte et d'un artiste qui devront respecter
scrupuleusement les choix des patients, dans la mesure du réalisable
mais sans limite de temps pour y parvenir.
La construction durera 5 années, durant lesquelles tout le monde
s'y est mis: ouvriers, malades, bonnes sœurs, médecins,
infirmiers... "Dans la nouvelle chapelle, tous les travaux
des patients furent intégrés. Les piliers par exemple
sont constitués de blocs tous différents, certains cubiques,
d'autres sans forme distincte: fruit d'une participation collective
respectant les capacités de chacun, la réalisation de
cette chapelle fut une synthèse théorique autant que pratique
de la psychothérapie institutionnelle" (Marcel Béteille,
juin 2007).
Une revue
appelée "Psychothérapie Institutionnelle"
est éditée. "Elle va faire paraître sept
numéros sur de grands concepts comme ‘la hiérarchie’,
‘la pédagogie’, ‘le transfert’, ‘la
transversalité’... etc." (P. Delion, 2001,
p.14).
Le
G.T.P.S.I. (Groupe de Travail sur la Psychothérapie et la Sociothérapie
Institutionnelles) cesse de fonctionner.
La S.P.I.
ou "Société de Psychothérapie Institutionnelle"
est créée sous la forme d’une fédération
de groupes régionaux. François Tosquelles en devient
le premier président. Il y définit l'articulation du
soin psychiatrique: "la psychothérapie institutionnelle
marche sur deux jambes, la psychanalytique et la politique".
L'hôpital
de Saint-Alban connaît année après année
une vie culturelle de plus en plus riche et ouverte. Les membres du
personnel y retournent parfois le soir, sur les jours fériés
ou de repos. Ils sont accompagnés de voisins, de membres de leur
famille, d’amis pour assister à une représentation
de théâtre, une soirée dansante, une tombola ou
un repas. L'ambiance y est libre et vivante, les relations entre patients,
villageois, soignants et administratifs, qu’ils soient religieux
ou civils, sont basées sur la détente, la confiance, et
très souvent la bonne humeur. On partage désormais dans
tout le village l'acceptation de l'autre dans sa différence et
son originalité. "Une des bases de la psychothérapie
institutionnelle, c'est l'amitié" aimait à répéter
François Tosquelles (précision de son fils Michel, Saint-Alban,
juin 2007).
"L’amitié et aussi l’humour" renchérit
le psychiatre J.P. Boulhol. "Je me souviens, j’étais
jeune interne à ‘la Candélie’ à Agen.
On nous annonce l’arrivée de François Tosquelles,
médecin à la réputation sulfureuse, surveillé
par les services de l’intérieur, interdit d’Espagne…
L’administration de l’hôpital, très pointilleuse
et solennelle, nous fait mettre sur deux files. Il arrive, voit toute
l’ambiance imposée, et demande: il est où le petit
trou pour faire pipi? Tout le monde éclate de rire, sauf le directeur
qui bafouille: vous voulez dire que vous voulez aller aux toilettes?
C’était fini, tout le décorum avait volé
en éclats, en quelques mots il avait remis les choses et les
gens à leur vraie place" (J.P. Boulhol, Saint-Alban,
juin 2007).
La ‘Revue
de Psychothérapie Institutionnelle’ fait paraître
p.141-143: "Dynamique du transfert et hiérarchisation
de l’institution" de D. Rothberg, et p.147-153: "Transfert
et défenses en psychothérapie institutionnelle"
de Y. Racine.
R.
Roelens, de son côté, publie dans ‘Information Psychiatrique’
n°9, p.729-740: "Réflexions sur le travail relationnel
en milieu psychiatrique".
Premières
publications de la "Bibliothèque de l’Infirmier
Psychiatrique": 23 livres paraîtront dans une écriture
très accessible et sur des thèmes en lien avec la pratique
soignante. Face à une demande pluri-professionnelle qui s’élargit
de plus en plus, la collection modifiera son nom en "Bibliothèque
de Psychiatrie Pratique".
M.A. Woodbury
fait paraître: "L’équipe thérapeutique"
(‘Information Psychiatrique’, n°10 p.1047-1142, 1966).
1967
P. Chanoit
publie: "La notion d’équipe en psychiatrie"
(‘Evolution Psychiatrique’ n°1 p.37-63, 1967) et Y.
Racine: "Rapports entre groupe de psychothérapie et
groupes d’activités dans un collectif soignant"
(‘Revue de Psychothérapie Institutionnelle’ n°5
p.71-76, 1967).
D’autre
part, déplorant ce qu’il en est du contenu officiel de
formation infirmière au niveau national, le Dr Grandguillaume
intitule sa thèse de doctorat "Problèmes de formation
du personnel infirmier des hôpitaux psychiatriques"
(Besançon, 1967).
La
S.P.I. (Société de Psychothérapie Institutionnelle)
cesse de fonctionner.
"Devant
la grande affluence que commencent à connaître les petits
groupes régionaux, Félix Guattari créé
le F.G.E.R.I. (Fédération des Groupes d’Etude
et de Recherche Institutionnelle) qui publiera la revue Recherches"
(P. Delion, 2001, p.14).
Durant
les évènements de mai 1968, le directeur Yves Racine téléphone
chaque matin à la préfecture pour signaler qu'il est retenu
dans son bureau par des grévistes, soignants ou administratifs.
"Quand le préfet lui demande s'il est nécessaire
de faire intervenir les forces de l'ordre pour le libérer: non,
non, cela se passe très bien, ils ne sont pas agressifs envers
moi, ils me retiennent, c'est tout" (Marcel Béteille,
juin 2007). Le directeur remplit ainsi son rôle officiel de garant
de l’ordre. En rassurant le représentant du gouvernement,
il évite toute ‘descente de police’ sur Saint-Alban
pour la journée. Dès que le téléphone est
raccroché, "Yves Racine distribue de l'argent aux infirmiers
mobilisés et aux piquets de grève pour aller acheter du
saucisson, du pain, du fromage, du vin..." qu’ils partageront
tous ensemble lors d’un repas convivial (Marcel Béteille,
idem).
Mutation
culturelle au sein des équipes infirmières, qui vivent
en ce moment un profond changement: "le public infirmier,
auparavant, c’étaient des gens qui venaient du travail
manuel. Beaucoup avaient été ouvriers, artisans, paysans...
Après 1968: on a eu affaire à de jeunes infirmiers complètement
différents, en ce sens qu’ils avaient tous le bac ou
niveau bac, une certaine appétence culturelle pour discuter
avec des intellos…" (R. Gentis, psychiatre, 2005,
p.133).
Un
livre paraît: "le psychanalyste sans divan"
de Diatkine, Lebovici, Paumelle et Racamier. L'ouvrage reconnaît
"l’apport de la théorie psychanalytique à
la compréhension des maladies mentales et éventuellement
à l’organisation d’institutions destinées
à les traiter" et met en avant les "interactions dynamiques
entre malades et institution" (P. Delion, 2001, p.14).
L’approche
soignante originale des équipes psychiatriques sur Saint-Alban
a fait parler d’elle à travers la France. Bien que formées
aux seuls soins généraux, plusieurs infirmières
diplômées d’état postulent pour y participer.
Si "en pratique, une infirmière psychiatrique (n’est)
pas embauchée à l’hôpital général
à la place d’une infirmière diplômée
d’état… l’inverse reste possible dans la
majorité des centres hospitaliers spécialisés
de psychiatrie" s’étonne V. Noireaud dans sa
thèse de médecine (1982, p.94-95). Et elle rajoute:
"nous remarquons d’ailleurs que si la loi prévoit
qu’une infirmière diplômée d’état
doit faire deux ans d’études pour avoir l’équivalence
diplômée en psychiatrie, ce qui est rarement réalisé
et ne l’empêche pas sur un plan concret d’être
embauchée et de travailler à l’hôpital psychiatrique,
la loi prévoit aussi que ces infirmières diplômées
d’état puissent assister aux cours des élèves
infirmiers en psychiatrie. Or, nous n’en avons vu aucune".
Déplorant à la fois le non-respect de la loi et l’absence
de démarches personnelles pour se former, Yves Racine, médecin-directeur
de l’hôpital de Saint-Alban conditionne l’embauche
des IDE à l’obtention du diplôme d'infirmier de
secteur psychiatrique, c'est-à-dire après qu’elles
aient fait 2 (nouvelles) années de formation, mais cette fois
spécifique à la psychiatrie.
Saint-Alban:
600 patients sont pris en charge par l'hôpital et le village.
La revue
‘Information Psychiatrique’ n°1 publie:
•
p.27-32 un article de D. Geachan et E. Koechlin: "Incidences
d’une psychothérapie individuelle sur le groupe des
malades et des infirmiers";
• p.41-51 un texte de Y. Blanc: "Le personnel infirmier:
sa participation et son engagement dans la relation thérapeutique".
1969
Si le
gouvernement français a bien enregistré l’évolution
qui s’est imposée sur le terrain en ce qui concerne la
formation du personnel et la prise en charge des patients, il n’en
favorise pas pour autant une généralisation au niveau
national. L'arrêté du 12 mai entérine le titre
"Infirmier de Secteur Psychiatrique" (ou ‘I.S.P.’),
sanctionné par un diplôme qui n’est reconnu que
dans la région où a été formé le
nouveau soignant. Ce cloisonnement régional nécessite,
lors d’un déménagement, une démarche préalable
auprès des deux DRASS (région de départ, région
d’accueil). Cause directe, ou conséquence d’un
état de fait, il est exact que beaucoup d’infirmiers,
si ce n’est la quasi-totalité d’entre eux, continuèrent
d’exercer sur les lieux mêmes où ils furent formés,
au sein d’équipes pluridisciplinaires dont le médecin
compta bien souvent parmi leurs enseignants, leurs formateurs. En
ceci, la non-reconnaissance nationale du diplôme spécifique
à la psychiatrie n’a pas facilité la circulation
des soignants, des idées ou des techniques.
F.
Tosquelles écrit: "Que faut’il entendre par psychothérapie
institutionnelle?", ‘Information Psychiatrique’
n°4 p.377-384.
G. Balvet,
P. Broussolle et M. Vermorel font paraître: "Où
en est l’enseignement des infirmiers des HP?", ‘Information
Psychiatrique’ n°6 p.591-602.
Années
1970
Mise en
place effective sur le territoire français des secteurs de
psychiatrie, sous la pression discrète mais efficace des associations
et des structures de la FASM Croix-marine. Reproduisant l’expérience
de Saint-Alban en Lozère, chaque secteur géographique
en France représentera une population approchant les 70.000
habitants. Là où ils seront nommés psychiatres,
les ex-internes de Saint-Alban vont organiser leurs "secteurs
de psychiatrie" avec plus ou moins de succès suivant
les endroits. Le syndicat des psychiatres des hôpitaux, dont
Jean Ayme a été président, usera de toute son
influence pour relayer, soutenir et élaborer collectivement
les applications de la doctrine de secteur dans chaque département.
Cela se fera souvent contre les directions administratives locales,
non-convaincues du bien-fondé de cette révolution psychiatrique.
La
mise en place de la psychiatrie de secteur sur l’ensemble de la
France à partir des années 1970 va avoir une influence
déterminante dans l’extension des idées et des pratiques
de la psychothérapie institutionnelle. Pour ses fondateurs, l’importance
de la désaliénation à accomplir est fondamentale
et c'est le seul moyen de changer le visage de la psychiatrie.
Les services
de l'hôpital de Saint-Alban proposent leurs soins sur 1 secteur
de psychiatrie adulte et un secteur enfant.
L'arrêté
du 16 février 1973 porte la formation des I.S.P. (infirmiers
de secteur psychiatrique) à 28 mois, c’est à dire
2 ans et 4 mois (dont 1580 heures de théorie). Elle intègre
les nouvelles notions qui sont apparues sur le terrain (désaliénisme,
secteurs de psychiatrie, thérapies découlant des théories
psychanalytiques). L’infirmier en soins généraux
et l’infirmier de secteur psychiatrique ont une formation de durée
équivalente. Mais le contenu des études diffère
profondément. "La formation des infirmiers psychiatriques
reste différente des autres formations infirmières et
l’exercice est restreint aux établissements psychiatriques
et ne comporte que très peu de passerelles vers un autre secteur.
Les membres du service infirmier y sont salariés et exercent
soit en établissement, soit sur un secteur psychiatrique"
relève le Dr V. Noireaud en 1982.
Saint-Alban:
le directeur de l'hôpital Yves Racine vient d'obtenir du ministère
de la santé un budget pour la construction de 2 nouveaux pavillons.
"Il engage les travaux non pas pour 2, mais pour 4 services,
qui très logiquement ne seront construits chacun que sur une
moitié" (Marcel Béteille, juin 2007). Invité
à l'inauguration des 4 demi-pavillons, le préfet, furieux,
est mis devant le fait accompli, car personne au sein de l'hôpital
ni dans le village n'a éventé la supercherie. L'état
se voit contraint de doubler le budget initial pour financer la fin
des travaux. Ce seront finalement 4 nouveaux bâtiments qui verront
le jour à l'hôpital de Saint-Alban.
Les
services du même ministère insistent auprès du Dr
Yves Racine, médecin-directeur pour quelques mois encore, afin
qu'il réserve les repas thérapeutiques "aux seuls
soignants", n'incluant dans ces termes que les infirmiers. Partant
du principe que tout l'entourage du patient fait partie des soins, Yves
Racine tient bon et maintient la gratuité des repas pour tout
le personnel, qu'il soit ‘soignant’ ou administratif, mais
également les ouvriers, les familles présentes, les stagiaires...
Le partage et la convivialité sont recherchés, le collectif
est thérapeutique et tout le monde mange ensemble.
Chacun
entretient la solidarité et la confiance, à l’hôpital
comme à l’extérieur. "A l’époque",
se souvient Marcel Béteille, "si le directeur, un psychiatre
ou un surveillant me voyaient en ville sur le temps du boulot, il
ne leur venait pas à l’idée de me demander ce
que je faisais là. Tout se passait dans la confiance. Si j’étais
là, c’est forcément que ma présence n’était
pas nécessaire à l’hôpital".
Yves
Racine est remplacé à la direction de l'hôpital
par un administratif non-médecin, après un très
court intérim de Janine Camplo, dernier médecin-directeur
de Saint-Alban.
L'arrêté
du 26 avril 1979 augmente les temps de formation des infirmiers IDE
et ISP de 5 mois. Il faut désormais à ces derniers 3
ans d’étude axée sur la psychiatrie (33 mois de
cours, de stages et d’examens, auxquels s’ajoutent les
congés d'été) avant d'être autorisés
à passer le diplôme d’infirmière et d’infirmier
de secteur psychiatrique. La formation a cette fois intégré
les notions de groupe, de travail d’équipe et de collectif
soignant, les théories sur les relations entre individus: le
transfert et le contre-transfert, les défenses du Moi, la relation
triangulaire… etc.
"L’enseignement est dispensé dans les établissements
psychiatriques publics et assimilés, agréés par
le ministre chargé de la santé. La scolarité
est de trente-trois mois ou quatre mille six cents heures.
On remarque que dès le premier module une part importante est
accordée à l’étude des groupes et de la
dynamique des groupes, les groupes humains:
•
Notion de groupe;
• Le dynamisme d’un groupe;
• Groupe familial;
• Groupes sociaux;
• Notions de sociologie;
• Notions de démographie.
L’infirmier
doit pouvoir simultanément se préoccuper des troubles
organiques de son malade, de ses troubles psychologiques et ne pas perdre
de vue que ce malade est un être social (qu’il a une famille,
un métier et qu’il faut renouer avec ce milieu dont il
est pour le moment isolé)"
(Dr V. Noireaud, 1982, p.48).
La nouvelle
formation des infirmiers de secteur psychiatrique va entraîner
une conséquence qui mérite ici d’être soulignée.
Cette sensibilisation aux phénomènes transférentiels,
ces travaux théoriques et pratiques sur les relations entre
les individus vont permettre de construire un groupe de professionnels
bien particulier. Toutes les paroles, tous les avis des soignants
peuvent être émis, entendus, partagés et commentés,
rendant possible une métabolisation du transfert et du contre-transfert.
L’équipe pluridisciplinaire de psychiatrie est apte à
fonctionner désormais comme un tout, plus efficace que la somme
de ses membres.
Les
idées nouvelles se sont répandues, accompagnant la mise
en place des secteurs de psychiatrie en France. Mais le diplôme
des ISP n'est toujours pas reconnu au niveau national. En effet, si
le programme d’enseignement théorique des infirmiers de
secteur psychiatrique est devenu uniforme pour l’ensemble des
établissements français, l’examen final, qui est
organisé par le directeur régional des affaires sanitaires
et sociales, assure toujours la délivrance d’un diplôme
régional.
Nombre
d’infirmiers psychiatriques exerçant en France:
1970
……………. 33.106 ISP
1975 ……………. 44.054 ISP
1977 ……………. 49.143 ISP
"Il
faut du personnel non seulement en nombre suffisant mais beaucoup
plus, techniquement formé et ayant le goût de son métier,
désireux de transformer radicalement l’ambiance asilaire.
Comme les murs doivent éviter l’aspect de prison, de
même l’infirmier doit éviter d’apparaître
comme un gardien ou un geôlier" écrivait Jean
OULES dans son livre page 50 (paru en 1960): "Soins aux malades
mentaux, manuel de l’infirmier(e) psychiatrique spécialisé(e)".
Paradoxalement,
le courant de psychothérapie institutionnelle commence à
partir de cette époque à perdre un peu de son activité.
De nouvelles méthodes, le redéploiement des soins donnés
aux malades mentaux font que le nombre de patients décroît
notablement durant la décennie. "Pour l’heure, la
majorité des collègues psychiatres se tourne plus volontiers
vers des procédures qui impliquent moins d’engagement et
plus de facilité, ce qui permettra à certains d’annoncer
dès le début des années 70 la fin de la psychothérapie
institutionnelle" (J. Ayme, 1994).
Fin des
années 1970: l'état qui a porté plainte contre
Yves Racine a fini par remporter son procès dans l'affaire
des repas thérapeutiques, alors que ce dernier avait déjà
pris ses fonctions à l'hôpital de ‘Maison Blanche’,
ayant quitté Saint-Alban depuis 1972.
Cette
décennie a vu la publication de plusieurs articles. Mais
si quelques textes développent toujours l’institutionnel,
le collectif ou l’équipe, d’autres se consacrent
à l’infirmier en tant qu’individu, à sa formation
et à son rôle:
•
"Le soin institutionnel des psychotiques: nature et fonction"
de P.C. Racamier, ‘Information Psychiatrique’, n°8
p.745-761, 1970;
• "Des infirmiers psy: rôle et formation"
de M. et N. Horassius , ‘Information Psychiatrique’,
n°8 p.869-875, 1974;
• "L’infirmier des hôpitaux psychiatriques:
recherche sur ses origines de 1914 à 1939" puis
"de 1939 à nos jours"du Dr Meylan, ‘Information
Psychiatrique’, n°2 p.193-202 puis n°3 p.323-332,
1975;
• "La formation des infirmiers de secteur psychiatrique"
de C. Nachin, ‘Information Psychiatrique’, n°3 p.333-340,
1975.
F. Tosquelles
est l’auteur de:
•
"La problématique du pouvoir dans les collectifs
de soins psychiatriques" en 1971, ‘La N~f’
n°42 p.93-101;
• "Dialogue intérieur sur l'équipe
en psychothérapie institutionnelle" en 1977, ‘Connexions’
n°22 p.25-46.
D’autre
part, plusieurs livres sont parus, dont:
•
"Les murs de l’asile" de R. Gentis, Ed.
Maspero, 1972;
• "Je travaille à l’asile d’aliénés"
de A. Roumieux, Ed. Champ Libre, 1974;
• "Humaniser l’hôpital" de
M. Abiven, Ed. Fayard, 1976;
• "On les appelait gardiens de fous"
de l’ancien ISP devenu psychiatre H. Zilliox, Ed. Privat,
1976.
Années
1980
Reprise
en main des décideurs politiques sur la psychiatrie en France:
le ministère de la santé divise par deux le nombre des
nouveaux psychiatres sortant de fac, puis annule la spécificité
psychiatrique de leur internat. Parallèlement, il introduit
des critères de rentabilité dans la gestion des services,
et de la concurrence entre les hôpitaux; Celui de Saint-Alban,
comme d'ailleurs tous les hôpitaux publics de France, doit intégrer
une nouvelle composante: la loi du marché.
Les
infirmiers de secteur psychiatrique sont désormais plus de 65.000,
répartis dans toutes les structures de soins psychiatriques:
hospitalisation complète ou partielle, pédo-psychiatrie,
psychiatrie adulte et géronto-psychiatrie, services de crise,
d’urgence, d’accueil ou d’écoute, psychiatrie
de liaison, CMP, CATTP...
Une politique
drastique de réduction des lits d’hospitalisation commence
à être appliquée sur toute la France: 40.000 lits
seront supprimés avant la fin de ce siècle.
"En supprimant des lits, on ne supprime pas le travail psychothérapique
avec les patients au long cours, au contraire, on l’augmente.
Comme la logique de la diminution du nombre des lits a été
très bien récupérée par les décideurs
pour faire des économies, ceux qui luttent contre les effets
néfastes de cette diminution passent facilement pour des conservateurs
anti-progrès" (P. Delion, 2001 p.18).
"Il ne faut pas fermer l’hôpital, il faut le
soigner" met en garde François Tosquelles: "l’ouvrir
vers le dedans, avant de l’ouvrir vers le dehors"
(J. Oury, 2003 p.296).
La
psychothérapie institutionnelle n'est plus porteuse du même
espoir: la maladie mentale va désormais s'appréhender
dans une approche essentiellement biologique, et les traitements seront
de plus en plus souvent médicamenteux, comportementaux ou sociaux.
Les notions de collectif, de travail de groupe, mais aussi d’équipe
soignante commencent dès lors à s’effilocher. Encore
une ou deux décennies et le patient se retrouvera de nouveau
seul avec sa maladie.
L'hôpital
de Saint-Alban se referme au fil des années. Ce n'est plus
la vie au quotidien qui fait soin, et de moins en moins le relationnel.
Les patients désertent petit à petit le village et réintègrent
l'établissement, ses (nouveaux) murs et sa hiérarchie.
La psychothérapie institutionnelle n'y est déjà
plus appliquée.
Prenant
à contre-pied ce déclin, et rebondissant sur une idée
de Lucien Bonnafé, l'association culturelle institue en juin
1986 les "Rencontres de Saint-Alban". Sont invitées
sur deux journées plusieurs équipes de soins, composées
d'aides-soignants, infirmiers, éducateurs, ergothérapeutes,
assistantes-sociales, psychologues, psychanalystes ou psychiatres venus
de toute la France, et précisément ceux qui ont insufflé
dans leur région une pratique de la psychothérapie institutionnelle.
Une fois par an se retrouvent ainsi les principaux acteurs sur un des
lieux de naissance du mouvement, en compagnie de patients et de soignants
de divers horizons.
D'autres rencontres s'organisent aussi à Dax et Angers (décembre),
Landernau, Marseille (octobre), Sarreguemines, Laragne ou Saint-Martin-de-Vignogoul.
Elles ont en commun "une certaine qualité de la relation
aux psychotiques et une conviction du caractère indissociable
et interactif du traitement de chaque patient et du traitement de chaque
institution" (J. Ayme, 1994).
Cette
décennie a vu la publication de plusieurs articles. On y parle
effectivement encore de psychothérapie institutionnelle et
de Saint-Alban, mais c’est déjà un regard sur
le passé. Par ailleurs, en ces temps de psychiatrie en crise,
si l’infirmier est bien toujours perçu, ce n’est
plus désormais qu’au singulier: pour avoir l’impression
d’une équipe, on doit le conjuguer au pluriel!
•
"Psychanalyse et hiérarchie infirmière dans
le secteur public" de J. Colmin en 1980 dans ‘Information
Psychiatrique’ n°4 p.427-431;
• "Faut-il raser les HP?" de E. Trillat
en 1980 dans ‘Information Psychiatrique’ n°10 p.1295-1300;
• "Encore quelques précisions sur la psychothérapie
institutionnelle" en 1981 de F. Tosquelles dans Soins
Psychiatriques, n°9 p.8-20;
• "L’équipe dans la crise psychiatrique"
de J. C. Benoît en 1982, ‘ESF’ à Paris;
• "Un infirmier à l'atelier journal"
de J.M. Ligibel en 1982 dans ‘Psychiatrie et Changement’
n°2 p.88-135;
• "Psychothérapie institutionnelle: transfert
et espace du dire", de J. Oury en 1983 dans ‘Information
Psychiatrique’ n°3 p.413-424;
• "Un singulier pluriel: l'équipe",
de A. Castera et M. Minard en 1986 dans ‘V.S.T.’ n°168;
• "L'effervescence saint-albanaise", de
F. Tosquelles en 1987 dans ‘Information Psychiatrique’
vol.63 n°8 p.957-963;
• "Articulation de la pratique institutionnelle avec
l'approfondissement de la théorie des psychoses",
de J. Oury en 1987 dans ‘Information Psychiatrique’
vol.63 n°8 p.979-988;
• "Pratiques soignantes dans les institutions",
de R. Kaes, S. Resnik et J.P. Vidal en 1989 dans la ‘Revue
de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe’ n°13.
Dans ces
nouveaux groupes réunissant des professionnels pris séparément
et vus au singulier, le tout est-il plus efficace que la somme des
membres?
Années
1990
Au
niveau international, et depuis plusieurs années déjà
se met en place le D.S.M. (ou "Diagnostic and Statistical Manual").
A partir de sa 3ème version (DSM-3), le manuel se centre sur
le seul symptôme: l'approche organiciste y est privilégiée
au détriment des théories et pratiques héritées
de la psychanalyse. La notion de maladie disparaît. On parle maintenant
de troubles. Est-ce à dire, à l’instar de l’eau
qui s’agite, que seule la surface peut être troublée?
Et qu’il suffirait de laisser reposer le patient pour qu’il
retrouve son calme?
Le mouvement
s’était en fait amorcé "lorsque la folie
s’est appelée maladie mentale: on n’a plus vu dans
le sujet qu’une maladie à soigner, des symptômes
à éradiquer", remarque Patrick Faugeras (juin
2007). Alors que "le symptôme n’est pas l’effet
d’un seul, mais un effet institutionnel".
Chimiothérapie,
comportementalisme, systémisme… "L’intérêt
pour ces techniques s’inscrit dans une période où
sont renvoyées aux poubelles de l’histoire les références
à l’inconscient et à la lutte de classes. Elles
ne menacent pas l’ordre établi ni l’équilibre
réputé fragile des infirmiers" rappelle ironiquement
Jean Ayme en 1994.
La psychothérapie
institutionnelle a modifié profondément l’ambiance
de travail au sein des équipes soignantes qui la pratiquent.
"Le médecin-chef n’est plus le patron au sens
archaïque du terme. A une logique monarchique se substitue une
logique républicaine, qui n’est pas dans les traditions
du milieu hospitalier, où le népotisme est en vigueur"
(J. Ayme, 1994, p.11). On ne remet pas en cause impunément
et pendant plusieurs décennies le pouvoir institué.
Au niveau politique, la reprise en main va être radicale. Si
les années 80 ont vu la disparition de l’internat spécialisé
pour les futurs psychiatres, en 1992 c’est au tour des infirmiers
de secteur psychiatrique de disparaître, avec leurs 3 années
de formation spécifique. La puissance publique "a
ruiné l’enseignement des infirmiers qui, rappelons-le,
avaient 3 ans de formation en psychiatrie avant 1992, et avant que
l’idée totalement saugrenue ne soit venue, Europe oblige,
de faire passer les infirmiers psychiatriques au tronc commun. Ils
sont passés de 3 ans de formation à 1 mois"
se désole Michaël Guyader, Chef de Service de Psychiatrie,
membre du "Collectif des 39", sur l’antenne
de ‘France Culture’ le 1er août 2011.
Héritière
du mouvement de Psychothérapie Institutionnelle et de l’histoire
du désaliénisme en France, cette formation unique au
monde a été façonnée par la volonté,
l’initiative et l’esprit de résistance de quelques
psychiatres progressistes. Du jour au lendemain, près de 75.000
professionnels en exercice se retrouvent mis en cadre d’extinction.
Durant 50 ans, l’infirmier de secteur psychiatrique fut en France
un acteur silencieux d’une des plus grandes évolutions
humanistes que la société ait connu. S’appuyant
sur leur "savoir secret" (L. Bonnafé) et
forts d’une réelle "convivance avec les malades"
(G. Daumézon), ils ont à leur actif:
•
un rôle majeur dans l’histoire du désaliénisme
français;
• un effort soutenu et innovant dans l’appropriation
de techniques thérapeutiques pour la prise en charge, l’écoute
et l’accompagnement des malades mentaux (soin relationnel
dans le quotidien partagé, travail dans l’après-coup
au sein de l’équipe soignante, gestion de l’angoisse
et des crises, différentes techniques d’entretiens
infirmiers, création et fonctionnement de clubs, groupes
ou ateliers thérapeutiques… etc.);
• une participation indispensable pour la mise en place des
secteurs de psychiatrie;
• une transmission ininterrompue des techniques et des savoirs
infirmiers acquis auprès des patients;
• un professionnalisme reconnu et encouragé par les
pionniers tels J. Ayme, L. Bonnafé, G. Daumézon, P.
Delion, J. Hochmann, Le Guillant, J. Oury, F. Tosquelles…
etc.
"Les
infirmiers psychiatriques… ont été une des principales
forces vives pour ces changements très profonds, la suppression
de leur diplôme spécifique a été pour la
psychiatrie dynamique un coup très dur" (P. Delion,
2001). Conséquences directes, les références psychanalytiques
vont progressivement disparaître des discours médicaux
et infirmiers, au sein d’équipes rajeunies mais de moins
en moins sensibilisées. Que sont devenus ces soignants inspirés
par la psychanalyse, "qui faisaient le pari pour leurs patients,
de pouvoir s’appuyer avec eux sur leur partie saine pour combattre
la partie malade?" (P. Delion, 2001, p.25).
La psychothérapie
institutionnelle n’a jamais véritablement fait partie
d’un projet gouvernemental. Elle n'existe que par la volonté,
et sous l'autorité d'un médecin psychiatre motivé:
"il faut à cette technique psychiatrique une décision
personnelle, un choix médical pour apparaître et s'épanouir,
et lorsque le médecin quitte son poste, elle disparaît"
(Michel Tosquelles, juin 2007). Sauf si le suivant décide de
continuer! Quand dans un premier temps François Tosquelles,
puis Roger Gentis et enfin Yves Racine sont partis de Saint-Alban,
petit à petit la psychothérapie institutionnelle s'est
repliée, et les patients ont été de moins en
moins vus dans le village.
Le
traumatisme des années 1939-1945 sous le régime de Vichy
et l'occupation Nazie s'est progressivement atténué dans
les consciences: la résistance à l'ordre établi,
la recherche d'une vie communautaire ou plus généralement
la solidarité héritée de la résistance ne
fédèrent plus comme durant les décennies qui ont
suivi la libération.
L’heure est à l’individualisme, la notion d’équipe
a perdu de sa substance et le recours aux seuls traitements médicamenteux
s’est imposé dans les soins, de manière hégémonique.
Comme
au début du siècle, le malade mental va se retrouver
de nouveau seul. Isolé, il pourra bientôt être
montré du doigt, stigmatisé par l’opinion, les
médias. "Tout le monde est d’accord en désignant
autrui comme déficitaire", mettait déjà
en garde Hélène Chaigneau dans les années 80
(Lise Gaignard, décembre 2010). Jean Oury n’exprime pas
autre chose quand il lance: "les connards, c’est toujours
ceux du bureau d’à côté".
Depuis
une vingtaine d’années, un lent mais profond changement
s’est opéré dans le fonctionnement de beaucoup d’équipes
de soins. Canalisant les communications, contraignant et orientant les
échanges entre les professionnels, un rapport de plus en plus
hiérarchisé s’est imposé aux infirmiers.
Si l’information remonte d’en bas, les décisions
se prennent d’en haut. Il n’y a donc plus grand-chose à
partager ou à échanger en réunion, et les poubelles
de l’histoire, assurément bien vastes, ont fini par recycler
Félix Guattari et la transversalité. Par définition,
cette méthode alternative et subversive pouvait être contrariante.
Faut-il en déduire qu’à l’aube du 21ème
siècle, il n’est plus possible de se mettre en travers?
En 1999,
Saint-Alban recense 1600 habitants. Son hôpital psychiatrique
ressemble désormais à la majorité des Centres
Hospitaliers Spécialisés de France. 140 patients sont
accueillis entre ses murs.
Remplaçant
progressivement les départs à la retraite de leurs aînés
vieillissant, les infirmiers nouvellement formés se sont retrouvés
de plus en plus nombreux au sein des équipes psychiatriques.
A compter de cette décennie, ils seront majoritaires dans les
structures de soins. Dès lors, "les personnels infirmiers
sont mis en face de malades dont on a à peine évoqué
l’existence durant leur cursus de formation. Il faut des mois
et des années pour savoir repérer des signes d’angoisse
de dépersonnalisation, trouver les gestes qui enserrent et rassurent,
disposer des mots qui soulagent. Aujourd’hui, cette clinique de
la relation au quotidien n’est plus le fait que de certains vieux
infirmiers qui partent à la retraite sans que leur soient donnés
les moyens de la transmission" (Bernard Durand, président
de la FASM, 20 mai 2010). La transmission des savoirs entre les générations
d’infirmiers n’a été ni anticipée,
ni accompagnée par les décideurs et les formateurs de
l’époque. Ils n’en ont tout simplement pas évalué
la nécessité. Tout n’était pour eux qu’une
question d’expérience à acquérir: le travail
en commun dans les services devait y suffire! Mais dans les services
de psychiatrie, la confrontation aux situations de terrain présuppose
des acquis cliniques et psychopathologiques que les nouveaux infirmiers
n’ont pas.
La transmission des savoirs n’a pas été possible
parce que beaucoup de professionnels des deux formations paramédicales
-IDE et ISP- n’ont pas su, n’ont pas pu ou n’ont pas
voulu reconnaître l’existence d’un savoir infirmier
à transmettre. Peut-être était-il trop difficile
d’accepter une relation ‘enseignant-enseigné’
vis-à-vis de collègues de travail. Quoi qu’il en
soit, cela a révélé l’absence d’une
reconnaissance et d’une acceptation des compétences et
des spécificités réciproques.
Le gouvernement
français reconnaît à présent la gravité
de la situation. Au cours de la décennie, plusieurs innovations
vont tenter de corriger les conséquences, dramatiques pour
les patients, des erreurs du passé.
10
juillet 2003: une circulaire à "application immédiate"
paraît, qui porte sur le "renforcement de la formation
des infirmiers destinés à exercer dans le secteur psychiatrique".
Dès 2004, pour compenser le manque de formation théorique
tout en sensibilisant les infirmiers au travail d’équipe,
le ministère de la santé introduit des "modules
de consolidation et d’intégration des savoirs".
Rien n’est modifié au niveau des cours donnés aux
élèves, mais un budget annuel est alloué à
leurs futurs employeurs. Le soignant nouvellement formé et intégrant
la psychiatrie devra suivre 15 jours échelonnés d’une
formation spécifique qui aborde enfin les notions psychiatriques
de base.
12 février
2005: par-delà le groupe, c’est la notion de solidarité
qui transparaît dans une loi française reconnaissant
le statut d’handicapé psychique. Elle propose un dispositif
associatif pour permettre aux personnes souffrant de pathologies psychiatriques
de se rassembler, au sein des GEM, ‘Groupes d’Entraide
Mutuelle’. Claude Finkelstein, présidente de la FNAP-Psy,
écrit en 2007: "Les GEM, une réponse à
la solitude, le moyen de la dignité par l’entraide et
la solidarité". Cette fois c’est du côté
de la société civile que semble venir l’espoir
pour les patients. Est-il permis d’espérer en un sursaut
de solidarité publique?
16 janvier
2006. Afin de rétablir une transmission inter-générationnelle
des savoirs et des savoir-faire professionnels, les décideurs
politiques concrétisent par une circulaire la mise en place
d’un "tutorat infirmier" pour la psychiatrie.
Les nouveaux soignants qui arrivent dans une équipe seront
désormais obligatoirement encadrés toute une année
par un collègue plus expérimenté.
Parallèlement
se mettent en place des formations qualifiantes et/ou diplômantes.
Réservées en priorité aux soignants récemment
formés qui en font la demande, elles sont prises en charge
par l’employeur dans le cadre de la formation continue. Les
formations peuvent durer:
•
quelques jours pour développer la réflexion sur
une problématique particulière ("Violence
et agressivité" en 14 heures, "Conduite
d’entretien infirmier" en 21 heures…);
• quelques mois pour aborder la spécificité
du soin en psychiatrie et s’approprier certaines techniques
infirmières ("DU soins infirmiers en santé
mentale" en 105 heures, "perfectionnement infirmier
en santé mentale" en 120 heures…);
• un an ou plus pour acquérir les notions cliniques
de psychiatrie ("DU soins en santé mentale"
en 200 heures étalées sur un an, "DU approfondissement
clinique et psychopathologique" en 320 heures sur 18
mois…).
Tous
ces programmes de formation continue ont repris en les actualisant d’anciens
cours pour ISP. Ils ré-injectent au ‘goutte à goutte’
et au sein des équipes un savoir infirmier découpé
en modules, quand ce n'est pas en fonction de symptômes et/ou
de protocoles soignants.
La psychothérapie
institutionnelle avait totalement disparu elle aussi des formations
infirmières depuis la réforme de 1992. Elle fait sa
(timide) réapparition chez les professionnels paramédicaux
français par le biais de ces formations continues et qualifiantes
qui permettent d’obtenir un Diplôme Universitaire (ou
DU). Les modules proposent un enseignement théorique et pratique
dispensé sur 2 ans à Lille (faculté de médecine
Henri-Warembourg) et à Paris (université Paris-Diderot).
Toutes
ces formations universitaires anticipent et participent à l’orientation
prise en 2009-2010 dans le cadre de la réforme LMD (Licence-Master-Doctorat):
les IFSI (Instituts de Formation en Soins Infirmiers) sont engagés
dans un processus de rapprochement avec les universités. Le nouveau
diplôme d’état d’infirmier, reconnu par ces
universités, a le grade de licence depuis 2012.
Est-ce
que cela permet d’espérer une réhabilitation des
idées psychanalytiques en France? L’avenir le dira. Chaque
année, quelques (trop rares) professionnels peuvent suivre
un stage de formation continue. Cela s’ajoute au tutorat et
aux modules de consolidation des savoirs, destinés quant à
eux à tous les nouveaux infirmiers psychiatriques. Est-ce que
l’ensemble de ces mesures a inversé le "processus
de destruction" de la psychiatrie que Jean Oury dénonçait
à la fin du siècle dernier? Bernard Durand, président
de la FASM Croix-marine observe en mai 2010: "les professionnels
récemment formés sont démunis et vivent dans
la crainte d’une violence qu’ils redoutent, leur propre
inquiétude n’ayant pour effet que de faciliter la montée
de l’angoisse chez les patients, qui prélude aux réactions
agressives et violentes. Ce véritable cercle vicieux conduit
au fait qu’on n’a jamais autant utilisé les prescriptions
de contention et les chambres d’isolement qu’aujourd’hui".
Mais
le renouveau dans le domaine de la formation infirmière et des
thérapeutiques institutionnelles peut aussi venir de l’étranger.
Il n’y aurait là rien d’étonnant, car il faut
se souvenir que "c’est sur des outils venus d’autres
horizons, à savoir la dynamique de groupe, arrivée au
lendemain de la guerre dans les cartons des alliés, que s’est
appuyée la psychothérapie institutionnelle lorsqu’elle
a pris son essor dans les années 40", précise
Nicolas Henckes en août 2011. N’est-il pas intéressant
d’observer qu’en 2012 la 26ème Journée ‘Nationale’
de Psychothérapie Institutionnelle s’est tenue au cœur
de l’Europe, à Bruxelles précisément?
François
Tosquelles, malade et proche de la mort, assurait déjà
en 1994: "je reste convaincu que tant qu’il y a des
hommes à la surface du monde, quelque chose de leur démarche
reste acquis, se transmet, disparaît parfois, mais aussi resurgit
quoi qu’il en soit de catastrophes mortifères qui nous
assaillent souvent. Comme on le sait, cette résurgence prend
le plus souvent des formes nouvelles qui s’actualisent entre
nous dans les enjeux du transfert" (Michel Minard et Alain
Castera, 1994).
"Le
meilleur anti-dépresseur, c’est l’autre"
(Boris Cyrulnik, 2009). Et c’est grâce aux liens tissés
entre les gens à travers une solidarité admise et encouragée,
qu’une prise en charge soignante peut se faire. Ainsi, dans sa
description en 2011 d’un groupe de parole, Dominique Friard, infirmier
de secteur psychiatrique, nous rappelle cette notion importante: "les
participants, tout malades qu’ils soient ne diffèrent guère
du Français moyen, à la nuance près que ça
bouillonne dans leur tête et que ce bouillon, cette vapeur prend
par la vertu de l’échange collectif, du travail en commun,
le nom d’une maladie qui se manifeste par des symptômes
qu’il est possible parfois de réguler" (D. Friard,
2011, p.23).
Et plus
loin, page 26, il précise que "chaque patient peut
s’appuyer sur l’entité particulière du groupe
qui est non seulement un laboratoire de recherche mais également
un groupe d’entraide dans lequel le symptôme n’appartient
plus uniquement à une personne mais se partage dans la recherche
des solutions individuelles, exprimées dans une relation à
l’autre, ou plutôt à plusieurs autres vivant une
expérience similaire. Le symptôme n’est plus ce
qui sépare des autres mais ce qui le temps d’un groupe
rassemble. Le témoignage individuel ne sert plus à stigmatiser
un patient particulier mais à enrichir le groupe qui devient
dépositaire du savoir vécu de ce dernier".
L’histoire
montre que pour se protéger et lutter efficacement face à
l’adversité, des solidarités doivent se créer
ou se recréer entre les individus. Cela se vérifie à
l’hôpital pour le patient angoissé trouvant protection
et soutien dans ce groupe de parole qui a été précisément
institué pour rassembler, échanger et faire partager.
La même chose s’observe en ville au sein des GEM qui accueillent
et réconfortent les personnes souffrant de troubles psychiques.
Il y a plusieurs décennies déjà et dans des circonstances
autrement dramatiques, la psychothérapie institutionnelle a su
protéger les patients de toute une commune, puis de tout un département.
Dans ces exemples, les solidarités sont apparues pour protéger
et prendre soin: elles ont pu s’exprimer au sein d’institutions
rassembleuses, volontairement humanistes, suffisamment protectrices,
susceptibles également de s’ouvrir à l’amitié
et à l’humour.
"A
côté d’une certaine psychiatrie officielle truffée
de DSM, d’échelles quantitatives et de protocoles…/…
des solidarités indéniables se développent entre
associations, qu’elles appartiennent au champ sanitaire ou au
champ médico-social, mais aussi avec les GEM gérés
par les usagers. Ce sont ces solidarités, s’inscrivant
dans des démarches militantes nouvelles, qui pérennisent
la dimension humaniste de l’accueil de personnes confrontées
à des troubles psychiques" (Bernard Durand, président
de la FASM, août 2011).
POSTFACE
Le cimetière des fous
Ce
cimetière enfanté par la lune
Entre deux vagues de ciel noir
Ce cimetière archipel de mémoire
Vit de vents fous et d'esprit en ruine
Trois
cents tombeaux réglés de terre nue
Pour trois cents morts masqués de terre
Des croix sans nom corps du mystère
La terre éteinte et l'homme disparu
Les
inconnus sont sortis de prison
Coiffés d'absence et déchaussés
N'ayant
plus rien à espérer
Les inconnus sont morts dans la prison
Leur
cimetière est un lieu sans raison
Entre
les murs de l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban existe
un vieux cimetière. Ses cyprès vieillissants ont été
arrachés, les croix de bois ont disparu, rongées par les
intempéries. Y sont enterrés des religieuses, quelques
maquisards… et des centaines de fous anonymes, parias honteux
jusque dans la mort.
A côté des deux parents de François Tosquelles décédés
lors d’un séjour chez leur fils, est gravé un poème
de Paul Eluard. Hébergé à l’asile de Saint-Alban,
il l’écrivit en 1943.
Dominique
Giffard,
Infirmier de Secteur Psychiatrique.
1.
1980, "Fleury-lès-Aubrais 1948: les Céméa
s’engagent dans le champ de la Santé mentale" de Germaine
le Guillant (ré-édition dans V.S.T. n° 72, oct. 2001);
2. 1982, "La formation des infirmiers en psychiatrie", mémoire
de psychiatrie, Dr V. Noireaud (thèse soutenue en Franche-Comté,
non-publiée);
3. 1994, "Actualités de la psychothérapie institutionnelle",
ouvrage collectif sous la direction de Pierre Delion, Ed. Matrice, Vigneux.
a) Michel Minard et Alain Castera: "La psychothérapie institutionnelle
est-elle morte et enterrée?", p.285;
b) Jean Ayme: "Essai sur l'histoire de la psychothérapie
institutionnelle", (visible également sur http://www.euro-psy.org/site/La_Borde.html);
4. 1998, le 27 juin: "Portrait de Jean Oury", par Eric Favereau,
journal ‘Libération’;
5. 2001, "Thérapeutiques institutionnelles" de Pierre
Delion, dans l’Encyclopédie Médico-chirurgicale
Psychiatrie, 37-930-G-10, 2001 (visible également sur http://www.balat.fr/IMG/rtf/Therapeutiquesinstitution.rtf);
6. 2003, "A quelle heure passe le train, conversations sur la folie"
de Jean Oury et Marie Depussé (Calmann-Levy);
7. 2005, "Roger Gentis, un psychiatre dans le siècle"
de Patrick Faugeras (Éditions Érès);
8. Janvier 2007, "Pratiques en Santé Mentale". Article
de Patrick Alary et Claude Finkelstein "Les GEM, une réponse
à la solitude, le moyen de la dignité par l’entraide
et la solidarité";
9. 2007, "Agir en Santé Mentale", plaquette d’information
de la FASM Croix-marine;
10. Les 15 et 16 juin 2007, les 22èmes ‘Rencontres de Saint-Alban’:
discussions informelles avec Jean Ayme, Michèle et Marcel Béteille,
J. Pierre Boulhol, Michel Tosquelles; Interventions de P. Delion, P.
Faugeras, M. Minard et J. Oury;
11. Le 10 décembre 2009, "Le meilleur antidépresseur,
c’est l’autre", propos de Boris Cyrulnik recueillis
par J.M. Décugis, C. Labbé et O. Recasens, journal ‘Le
Point’ n°1943 (p.76);
12. Le 20 mai 2010, "Est-il encore possible d’arrêter
la destruction de la psychiatrie", article de Bernard Durand, Président
de la FASM Croix-marine;
13. Le 14 décembre 2010, "Autismes, Psychoses et Existence.
Le travail avec les personnes réputées déficitaires:
défenses collectives et maltraitance". Lise Gaignard, Docteur
en psychologie du travail, conférence organisée par la
FASM à Tours;
14. Mai 2011, "Pratiques en Santé Mentale". Article
de Dominique Friard p.23 ("Ça bouillonne dans les boyaux
de la tête");
15. Le 1er août 2011, "Réforme de la psychiatrie:
vers une banalisation de la contrainte?", débat avec Michaël
Guyader, Chef de Service du 8ème secteur de Psychiatrie Générale
de l’Essonne, membre du "Collectif des 39 contre la nuit
sécuritaire". Emission "Contre-Expertise" sur
‘France Culture’ de 18h.15 à 19h.00;
16. Août 2011, "Pratiques en Santé Mentale".
a) Editorial de Bernard Durand: "Militance et santé mentale"
p.1;
b) Article de Nicolas Henckes: "Soigner pour changer la psychiatrie.
Réflexions sur la ‘psychiatrie militante’ de l’après
1945", p.10;
17. Octobre 2011, "Institutions, Revue de Psychothérapie
Institutionnelle" n°48: "Transmission". Le présent
texte a été construit en reprenant pour base l’article
p.73 intitulé "Saint-Alban, lieu de psychothérapie
institutionnelle", écrit en 2007 par l’auteur;
18. Office de tourisme, plaquette d’information du syndicat d’initiative:
rue de l’hôpital, 48120 Saint-Alban-sur-Limagnole. Contact:
ot.stalban@wanadoo.fr ou tel: 04.66.31.57.01;
19. Association culturelle du personnel de Saint-Alban: Centre Hospitalier
F. Tosquelles, 48120 Saint-Alban-sur-Limagnole. Contact: assoculturelle@chft.fr
ou tel: 04.66.42.55.55. Sa présidente Mme Claverie, son ancien
président Mr Béteille;
20. Site Internet: http://psychiatriinfirmiere.free.fr/formation/infirmier/psychiatrie/infirmier-secteur-psychiatrique.htm
;
21. Site Internet: http://aufonddubois.midiblogs.com/archive/2009/11/08/le-cimetiere-des-fous.html
.
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