La
cabane du paludier
Entre ciel et eau, la cabane du paludier irradie et rayonne.
Autour d'elle, le déchaînement des flux, aquatiques et
célestes, donne à cette petite cabane le sérieux
et la force de sa présence, simple, sans sophistication indécente
ou déplacée.
La nature alentour lui prête un décor dont elle serait
le personnage principal.
Elle est tantôt alcôve, tantôt cachette des secrets
intimes, tantôt protection des outils du paludier, tantôt
abri des intempéries.
Elle demeure essentiellement l'écrin des forces spirituelles
de Boulfray.
Elle est comme un astre solaire posé au sol dont les rayons diffusent
partout alentour.
L'âme de Boulfray palpite dans cette cabane, en forces créatrices
et spirituelles, en communication vivante avec le monde.
Avec elle, le peintre invite à contempler le foisonnement à
la croisée des mondes : eau, terre et ciel dans leur générosité
confondue.
Fragile et éternelle, la cabane du paludier étreint notre
solitude dans un sentiment de comblement face à cette infinité
paisible.
En elle, respire l'histoire de la naissance de l'homme dans sa fibre
originaire, dans l'alliance des matières et dans l'apprivoisement
des lieux. Sa naissance est liée à ceux qui l'ont dressée,
là, entre ciel, mer et terre au carrefour des chemins, au point
de bifurcation de leur existence.
Elle condense en elle la rencontre d'éléments singuliers
et originels.
A ses pieds, l'alliance de l'eau et de la terre naît sous nos
yeux quand l'eau se fait transparence comme un voile. L'ocre terrienne
entre en conversation intime avec le ciel grâce à une fine
pellicule d'eau qui se fait miroir céleste.
En transparence, le fond terrien offre un appui aux désirs en
errance.
Des trouées de ciel bleu déchirent le voile de brume mauve,
grise et blanche ouvrant des voies vers l'au-delà.
Humble et rudimentaire, la cabane respecte l'harmonie des lieux.
Une fente sombre verticale invite le regard à y pénétrer
mais la noirceur de la fente rend l'issue, opaque et étanche
enveloppant la rencontre d'un silence épais et touffu.
Boulfray produit par jaillissement pictural des balayages comme des
voies lactées. Il enveloppe d'infini, la cabane du paludier,
de toutes parts. Des touches vert printemps en ondulations horizontales
tracent des chemins de vivance et d'espérance.
Une sorte de clairière crée un halot ocre au pied de la
cabane du paludier comme si les piétinements façonnaient
des cernes d'accessibilité. En créant un espace concentrique,
ils offrent un piédestal à la cabane qui expire ainsi
toutes les lignes de perspective.
La nature transcendée par Boulfray offre un tissu de fond sur
lequel l'homme se détache incarné dans une cabane érigée
entre ciel, terre et eau.
Deux simples planches verticales et modestes évoquent les colonnes
d'un temple antique.
La tranquillité silencieuse du lieu donne place à la cabane
du paludier dans son existence simple et essentielle.
Avec cette cabane, seule, debout, au milieu d'une nature sauvage, originaire
et foisonnante, Boulfray offre une halte, un espace de recueillement
dans la solitude de l'intimité, hors des artifices du monde assourdissant
et mercantile.
En donnant un refuge à l'authenticité originaire du monde,
Boulfay invite l'homme à mettre son âme entre les mains
de son destin.
Algue
marine et sensorialités transcendantales
L'automne
arrive à grands pas. La mer rejette des filaments enchevêtrés
d'algues.
Sur la plage, à la saison qui voit s'éloigner l'agitation
tumultueuse de la période estivale, les chevelures sombres dessinent
sur le sable des lignes sinueuses en forme d'arcades.
Le temps d'une marée, elles inscrivent une ligne de démarcation
entre deux territoires qui se chevauchent en ressac, valse rythmée
entre sable et eau.
Boulfray sculpte un corps de femme d'algue marine. En suspendant les
algues à une pelle plantée dans la terre, Boulfray rehausse
l'herbe marine au rang de haillons colorés. Il offre une colonne
vertébrale à la plante ondulante et fluide. Les algues
retrouvent leurs ondulations surfant sur la légèreté
de l'air qui leur offre un doux portage prenant ainsi le relais des
courants aquatiques.
Les algues marines transportent, du fond de l'océan, l'odeur
iodée. L'œuvre des algues marines de Boulfray émerge
d'une fusion olfactive. Le nez enfoui dans la chevelure maritime donne
existence au visage, éveillé par un bouquet de sensations
olfactives et tactiles.
La force olfactive éveille l'âme qui se lève et
anime ce corps de femme.
Amazone à la crinière au vent.
"Peau d'âne" végétale.
Cette œuvre naît de l'expérience d'une sensorialité
parfumée, d'un fouissement au sein nourricier végétal,
guidé à l'aveugle par des images olfactives qui remplissent
l'espace. Les pensées primordiales naissent de cet acte d'explorations
olfactives avant la naissance des mots. L'existence d'un territoire
humain s'affirme dans la senteur. Par la palette infinie des odeurs,
du profondément viscéral aux saveurs entêtantes
ou âcres, les algues marines de Boulfray transcendent les sensorialités.
Les flux olfactifs relient l'âme aux sensations terrestres.
Les algues sortent des entrailles de la mer. Elles offrent à
la terre la matière fertilisante du renouveau printanier.
Pour que la terre puisse enfanter à la saison printanière,
les algues gorgées de minéraux se décomposent en
engrais fertiles.
Boulfray sculpte à la peinture une peau en lambeaux, fluide et
poreuse.
Des fils d'eau de mer brillent sur les couleurs des algues. Il ressemble
aux filets de salive qui relient ciel et terre, créant les premières
traces verticales. Un graphisme corporel naît. Il contient les
prémisses souterraines de la création du genre humain
révélant l'infinie variété des sensorialités
créatives qui se retirent dans l'ombre au moment de l'émergence.
Une femme, trouée de sensorialités magnifiques, avance
vers un rideau de pluie comme une douche aux nuances bleutées
grises.
La femme algue marine fusionne avec la virilité dressée
de la pelle qui lui donne corps.
Algue et pelle tous deux enlacés.
Mer et terre s'accouplent se faisant écho de la pierre longue,
surplombant la plage St Michel à Batz sur mer.
L'étreinte du couple amoureux se solidifie dans la roche, pour
l'éternité.
Résonances
sacrées avec les vieilles souches
Cyprès, châtaignier,
orme : œuvre polyphonique et verbale.
Tâtonnant par
petits coups secs, l'ancêtre de Boulfray fait chanter le bois.
L'arbre dévoile son identité par les sons qu'il produit.
Boulfray, enfant, reconnaît le bois à la sonorité
qu'il émet à son contact.
La voix du bois résonne. Boulfray peint avec le timbre singulier
de l'arbre.
Les nœuds offrent une porte d'entrée, un point possible
de rencontre selon le moment et l'humeur.
Le bois chante, grave ou caverneux selon la densité du bois et
son identité filiale.
La couleur et les nervures ne sont pas les seuls signes distinctifs.
La résonance sonore scelle l'appartenance à telle ou telle
filiation.
Les méandres de la nature ne se découvrent pas seulement
avec les yeux. Faut-il encore les écouter.
La peinture de Boulfray est habitée et hantée de ces résonances
intimes et sacrées au plus profond de l'âme.
La peinture figurative s'attarde naïvement au niveau des apparences
spéculaires pour mieux rendre compte des dimensions invisibles
et souterraines toujours là.
Cyprès, Châtaignier, orme : Trois ancêtres laissent
le temps de sculpter leur vieux corps noueux.
Statues immobiles.
Elles sont élevées au rang du totem autour desquels une
danse invisible résonne en musique sacrée, au fond du
cœur.
Marie
Libeau Manceau, mardi 22 octobre 2013