Résonances sacrées et animalités transcendantales dans l'espace pictural de Boulfray

Marie Libeau Manceau

octobre 2013

 

La cabane du paludier

 


Entre ciel et eau, la cabane du paludier irradie et rayonne.
Autour d'elle, le déchaînement des flux, aquatiques et célestes, donne à cette petite cabane le sérieux et la force de sa présence, simple, sans sophistication indécente ou déplacée.
La nature alentour lui prête un décor dont elle serait le personnage principal.
Elle est tantôt alcôve, tantôt cachette des secrets intimes, tantôt protection des outils du paludier, tantôt abri des intempéries.
Elle demeure essentiellement l'écrin des forces spirituelles de Boulfray.
Elle est comme un astre solaire posé au sol dont les rayons diffusent partout alentour.
L'âme de Boulfray palpite dans cette cabane, en forces créatrices et spirituelles, en communication vivante avec le monde.
Avec elle, le peintre invite à contempler le foisonnement à la croisée des mondes : eau, terre et ciel dans leur générosité confondue.
Fragile et éternelle, la cabane du paludier étreint notre solitude dans un sentiment de comblement face à cette infinité paisible.
En elle, respire l'histoire de la naissance de l'homme dans sa fibre originaire, dans l'alliance des matières et dans l'apprivoisement des lieux. Sa naissance est liée à ceux qui l'ont dressée, là, entre ciel, mer et terre au carrefour des chemins, au point de bifurcation de leur existence.
Elle condense en elle la rencontre d'éléments singuliers et originels.
A ses pieds, l'alliance de l'eau et de la terre naît sous nos yeux quand l'eau se fait transparence comme un voile. L'ocre terrienne entre en conversation intime avec le ciel grâce à une fine pellicule d'eau qui se fait miroir céleste.
En transparence, le fond terrien offre un appui aux désirs en errance.
Des trouées de ciel bleu déchirent le voile de brume mauve, grise et blanche ouvrant des voies vers l'au-delà.
Humble et rudimentaire, la cabane respecte l'harmonie des lieux.
Une fente sombre verticale invite le regard à y pénétrer mais la noirceur de la fente rend l'issue, opaque et étanche enveloppant la rencontre d'un silence épais et touffu.
Boulfray produit par jaillissement pictural des balayages comme des voies lactées. Il enveloppe d'infini, la cabane du paludier, de toutes parts. Des touches vert printemps en ondulations horizontales tracent des chemins de vivance et d'espérance.
Une sorte de clairière crée un halot ocre au pied de la cabane du paludier comme si les piétinements façonnaient des cernes d'accessibilité. En créant un espace concentrique, ils offrent un piédestal à la cabane qui expire ainsi toutes les lignes de perspective.
La nature transcendée par Boulfray offre un tissu de fond sur lequel l'homme se détache incarné dans une cabane érigée entre ciel, terre et eau.
Deux simples planches verticales et modestes évoquent les colonnes d'un temple antique.
La tranquillité silencieuse du lieu donne place à la cabane du paludier dans son existence simple et essentielle.
Avec cette cabane, seule, debout, au milieu d'une nature sauvage, originaire et foisonnante, Boulfray offre une halte, un espace de recueillement dans la solitude de l'intimité, hors des artifices du monde assourdissant et mercantile.
En donnant un refuge à l'authenticité originaire du monde, Boulfay invite l'homme à mettre son âme entre les mains de son destin.

 

Algue marine et sensorialités transcendantales

 

 

L'automne arrive à grands pas. La mer rejette des filaments enchevêtrés d'algues.
Sur la plage, à la saison qui voit s'éloigner l'agitation tumultueuse de la période estivale, les chevelures sombres dessinent sur le sable des lignes sinueuses en forme d'arcades.
Le temps d'une marée, elles inscrivent une ligne de démarcation entre deux territoires qui se chevauchent en ressac, valse rythmée entre sable et eau.
Boulfray sculpte un corps de femme d'algue marine. En suspendant les algues à une pelle plantée dans la terre, Boulfray rehausse l'herbe marine au rang de haillons colorés. Il offre une colonne vertébrale à la plante ondulante et fluide. Les algues retrouvent leurs ondulations surfant sur la légèreté de l'air qui leur offre un doux portage prenant ainsi le relais des courants aquatiques.
Les algues marines transportent, du fond de l'océan, l'odeur iodée. L'œuvre des algues marines de Boulfray émerge d'une fusion olfactive. Le nez enfoui dans la chevelure maritime donne existence au visage, éveillé par un bouquet de sensations olfactives et tactiles.
La force olfactive éveille l'âme qui se lève et anime ce corps de femme.
Amazone à la crinière au vent.
"Peau d'âne" végétale.
Cette œuvre naît de l'expérience d'une sensorialité parfumée, d'un fouissement au sein nourricier végétal, guidé à l'aveugle par des images olfactives qui remplissent l'espace. Les pensées primordiales naissent de cet acte d'explorations olfactives avant la naissance des mots. L'existence d'un territoire humain s'affirme dans la senteur. Par la palette infinie des odeurs, du profondément viscéral aux saveurs entêtantes ou âcres, les algues marines de Boulfray transcendent les sensorialités.
Les flux olfactifs relient l'âme aux sensations terrestres.
Les algues sortent des entrailles de la mer. Elles offrent à la terre la matière fertilisante du renouveau printanier.
Pour que la terre puisse enfanter à la saison printanière, les algues gorgées de minéraux se décomposent en engrais fertiles.
Boulfray sculpte à la peinture une peau en lambeaux, fluide et poreuse.
Des fils d'eau de mer brillent sur les couleurs des algues. Il ressemble aux filets de salive qui relient ciel et terre, créant les premières traces verticales. Un graphisme corporel naît. Il contient les prémisses souterraines de la création du genre humain révélant l'infinie variété des sensorialités créatives qui se retirent dans l'ombre au moment de l'émergence.
Une femme, trouée de sensorialités magnifiques, avance vers un rideau de pluie comme une douche aux nuances bleutées grises.
La femme algue marine fusionne avec la virilité dressée de la pelle qui lui donne corps.
Algue et pelle tous deux enlacés.
Mer et terre s'accouplent se faisant écho de la pierre longue, surplombant la plage St Michel à Batz sur mer.
L'étreinte du couple amoureux se solidifie dans la roche, pour l'éternité.

 

Résonances sacrées avec les vieilles souches

 

 

Cyprès, châtaignier, orme : œuvre polyphonique et verbale.

Tâtonnant par petits coups secs, l'ancêtre de Boulfray fait chanter le bois.
L'arbre dévoile son identité par les sons qu'il produit.
Boulfray, enfant, reconnaît le bois à la sonorité qu'il émet à son contact.
La voix du bois résonne. Boulfray peint avec le timbre singulier de l'arbre.
Les nœuds offrent une porte d'entrée, un point possible de rencontre selon le moment et l'humeur.
Le bois chante, grave ou caverneux selon la densité du bois et son identité filiale.
La couleur et les nervures ne sont pas les seuls signes distinctifs.
La résonance sonore scelle l'appartenance à telle ou telle filiation.
Les méandres de la nature ne se découvrent pas seulement avec les yeux. Faut-il encore les écouter.
La peinture de Boulfray est habitée et hantée de ces résonances intimes et sacrées au plus profond de l'âme.
La peinture figurative s'attarde naïvement au niveau des apparences spéculaires pour mieux rendre compte des dimensions invisibles et souterraines toujours là.
Cyprès, Châtaignier, orme : Trois ancêtres laissent le temps de sculpter leur vieux corps noueux.
Statues immobiles.
Elles sont élevées au rang du totem autour desquels une danse invisible résonne en musique sacrée, au fond du cœur.

 

Marie Libeau Manceau, mardi 22 octobre 2013

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